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REVUE. — CHRONIQUE.

accordées à l’humanité depuis la rédemption, c’est que sans doute il entrait dans les desseins de Dieu de ne pas manifester sa miséricorde avant que sa souveraineté eût été pleinement reconnue. L’idée de la bonté paternelle, qui est prête à pardonner à l’homme malgré son indignité, ne saurait être salutaire que pour celui qui sent déjà qu’il est indigne et qu’il a besoin d’être pardonné, en d’autres termes qui a déjà conscience de tout ce qu’il devrait être et qu’il n’est pas. Tout au contraire, elle ne peut qu’avilir celui qui ne s’est pas encore fait un idéal assez haut du devoir, et qui ne se trouve pas bien misérable en regard des exigences de sa conscience ; elle ne peut que l’exposer à rabaisser sa morale au niveau de ses propres faiblesses. Ainsi s’expliquent pour M. Hardwick les ombres que l’Ancien-Testament laissait planer sur la vie future. Le principal but de la loi donnée aux Hébreux était de développer chez eux le sentiment de l’imperfection humaine et de la perfection divine, de les amener à reconnaître comment la créature était incapable de se rendre irréprochable devant la sainteté suprême. D’ailleurs les Hébreux étaient encore trop dominés par leurs sens, et la perspective toute spirituelle de la rémunération au-delà de la tombe ne les aurait pas suffisamment touchés. Pour les convaincre que Dieu était le maître souverain et l’immuable justice, dont les commandemens ne pouvaient être violés impunément, il fallait une rémunération palpable et immédiate, il fallait que dès ce monde chaque transgression de leur part fît retomber sur eux son châtiment incontestable.

Toute cette apologétique de M. Hardwick se rattache évidemment à des vues sur le judaïsme qui sont de date récente, et que la théologie a dues en partie aux attaques de la critique. Nous faisons allusion aux mêmes idées que M. de Pressensé exposait dernièrement en France, et qui tendent à présenter la révélation, non plus comme un acte violent d’autorité imposant d’un seul coup toute la vérité, et la vérité absolue, mais plutôt comme une manifestation progressive et toujours proportionnée à l’état de l’homme, comme une assistance éducatrice qui veut le concours de la raison, qui lui enseigne seulement ce qu’il peut entendre, en l’aidant à devenir capable d’entendre davantage. — Comme je le disais, cela est tout à fait caractéristique : la théologie moderne est honnête ; au lieu de chercher à contester les faits établis par la science, elle a trouvé moyen d’y répondre en se faisant une nouvelle conception de sa propre foi, en la comprenant d’une manière qui permet d’admettre ces faits et de les concilier avec l’idée essentielle de la déchéance, de la rédemption, de l’intervention surnaturelle. En définitive, la lutte engagée entre le christianisme et la science a convaincu une fois de plus la raison de ne pas avoir le don de prophétie, car, contrairement à toutes les prévisions des deux combattans, il se trouve qu’ils ne se sont pas fait grand mal l’un à l’autre. La critique croyait mettre la foi à bout de raisons, et il est très vrai qu’elle lui a enlevé plusieurs de ses anciennes raisons ; mais la foi s’en est fait d’autres encore meilleures, et en réalité le combat n’a abouti qu’à la rendre plus intelligente et plus profonde dans sa doctrine. Il y a certes là un phénomène fort curieux, et il nous semble renfermer une vérité qui mérite d’être relevée. Comme on le sait, si quelque chose peut rappeler la fécondité infinie de la nature, c’est bien la merveil-