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— Comment ! s’écria-t-elle, monsieur ne sait donc pas ?…

— Je ne sais rien : que veux-tu que je sache ? J’arrive, et je n’a encore vu personne.

— En ce cas, monsieur ne sait pas qu’il est riche ?

— Riche, qui ?… Mon oncle Gaston ?…

— M. le chanoine Gaston de La Roche est mort dans la dernière misère, comme il avait toujours vécu ; mais monsieur le comte est riche, vu que ce grand-oncle si malheureux avait mis ses revenus de côté. Il avait amassé, ramassé, tondu sur les œufs, que sais-je ? placé les intérêts et les intérêts des intérêts, si bien qu’il a laissé en espèces enfouies plus de cinq cent mille francs, dont monsieur le comte hérite. Eh bien ! ça ne vous fait pas plus de plaisir que ça ? Si la pauvre madame vivait, ça lui en ferait tant pour vous !

— Ah ! tu as raison, Catherine ! l’âme de ma mère s’en réjouit peut-être ; alors je suis content, très content. Mais parle-moi de mon meilleur ami au pays, parle-moi de M. Louandre. J’ai peur d’apprendre aussi sa mort, car tu ne me racontes jusqu’à présent que des enterremens.

— M. Louandre se porte bien. Dieu merci ! Et tenez ! c’est son jour, vous le verrez tantôt. Il vient ici régulièrement tous les 28 du mois pour arrêter les comptes du régisseur, aviser aux réparations des bâtimens, et voir enfin si tout est en ordre. Il a grand soin de vos affaires, allez ! Seulement il a du chagrin parce qu’il commence à vous croire mort, comme je le croyais presque aussi, moi ! Et tous vos cousins pensaient de même. Ils s’impatientent fort de ne rien savoir de vous, et il y en a bien quelques-uns qui ne seront pas trop contens de vous revoir, car il ne fait pas trop mauvais maintenant d’hériter de vous. Il y a surtout M. de Bressac…

— Ne me dis pas cela, Catherine, ne me nomme pas les gens qui comptaient voir arriver un de ces matins mon acte de décès. J’aime autant ne pas savoir ! Tu dis que M. Louandre va venir ?

— Oui certes, et je vais préparer son déjeuner et le vôtre. Si vous voulez que je continue à causer avec vous, il faut venir avec moi dans la cuisine, comme vous faisiez quand vous étiez un enfant, et que, tout en plumant mes volailles, je vous racontais la légende des jayans[1] cévenoles ou celle de la pucelle du Puy-en-Vélay.

Je suivis Catherine et je l’aidai même à faire le déjeuner. Elle était émerveillée de voir que je me rappelais la place de tous ses petits ustensiles, comme j’étais émerveillé moi-même de voir qu’elle n’eût pas varié d’une ligne dans ses habitudes d’ordre. Elle me mit au courant de tout ce qui concernait mon ancien entourage ; mais

  1. Géans.