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retrouver aussi jeune que quand je suis parti. Vous me faites bien de l’honneur, et je vous en remercie ; mais je suis forcé, pour vous détromper, de vous dire que je suis revenu ici avec l’idée de me marier sans amour, et que je compte sur vous pour me trouver un établissement qui comportera toutes les conditions de la saine et positive amitié.

— À la bonne heure ! s’écria M. Louandre. Vous voilà dans le vrai, et je vous réponds qu’avec l’héritage de votre grand-oncle, vous êtes à même de faire un excellent choix. J’y songerai, et nous parlerons de cela. Je n’ai qu’un regret au milieu de ma joie de vous revoir, c’est que vous ne soyez pas arrivé quinze jours plus tard.

— Pourquoi cela ?

— Affaire d’intérêt pour vous, il se présente une magnifique occasion de placer votre capital. La terre de…

Ici M. Louandre entra dans des détails que j’écoutai avec l’attention d’un homme positif, bien que la chose me fût très indifférente au fond ; mais mon digne ami mettait tant de zèle à vouloir m’enrichir, que je lui eusse fait beaucoup de peine en ne le secondant pas de toute mon adhésion. — Ce serait une affaire faite dans quinze jours, ajouta-t-il, si vous n’étiez pas là ; mais, dès qu’on vous verra au pays, les exigences, très modestes aujourd’hui, faute de concurrens, deviendront exorbitantes. On voudra vous faire payer la convenance, car on devinera parfaitement que je traite pour vous, tandis que, si on vous croyait en Chine, on n’y songerait pas. Voyons ! si vous vous en alliez un peu ? N’aviez-vous pas l’intention de revoir Paris, ou comptiez-vous vous arrêter et résider ici tout de suite ?

— Je comptais aller à Paris pour me remettre au courant des choses de ce monde. J’irai dès demain, si vous voulez.

— Eh bien !… allez-y ! vous m’obligerez, vrai ! Je tiens essentiellement à ne vous rendre la gouverne de vos biens qu’après les avoir mis sur le meilleur pied possible. Croyez-vous pouvoir cacher votre retour ? Qui avez-vous vu déjà ?

— Catherine, et voilà tout.

— Oh ! celle-là, on peut compter sur sa discrétion ! Et personne ne vous a reconnu en route ?

— Personne ; je n’ai parlé à qui que ce soit.

— Et vous êtes venu du Puy ?…

— À pied, sans un seul domestique. Le mien est encore à Marseille dans sa famille.

— Et vous vous en iriez bien de même jusqu’à une dizaine de lieues d’ici, sans vous faire connaître ?

— Parfaitement, et d’autant plus que je n’ai ici ni domestique ni monture.