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contre son invasion. Tous les articles importés étaient exposés quarante jours durant à l’air et au soleil ; les dollars acceptés en échange du bétail devaient être enterrés pendant un même espace de temps, et tous les bâtimens, de quelque provenance qu’ils fussent, étaient astreints à une quarantaine complète. M. Ellis dut donc cette fois encore renoncer à l’espérance de parvenir jusqu’à la capitale ; du moins, pour ne pas borner sa visite à Tamatave, il résolut de faire le long du littoral une excursion à Foule-Pointe.

Ce voyage s’accomplit par le bord de la mer, à l’ombre de ces immenses forêts qui forment à l’île entière comme une ceinture de défense ; la puissante végétation des tropiques s’y étale dans toute sa splendeur : des lianes inextricables, des parasites gigantesques, d’énormes fougères s’y enlacent et s’y mêlent aux épaisses et sombres chevelures des pandanus, aux légères couronnes des cocotiers, aux amples et vigoureuses palmes de l’arbre du voyageur. Celui-ci (urania speciosa) sert, comme le baobab, de réceptacle à l’eau des pluies et la conserve dans les lieux les plus arides ; mais ce n’est pas son tronc lisse et compacte, ce sont les tiges flexibles de chacune de ses feuilles qui retiennent, comme autant de tuyaux, le précieux liquide ; il suffit d’une incision légère pour en faire couler une eau claire et toujours fraîche. À ces puissans feuillages, aux lianes qui montent, retombent et serpentent, se suspendent les fleurs les plus éclatantes et les plus variées. C’est un spectacle d’une beauté sans égale, mais en présence duquel on respire la mort. Quand les nombreuses rivières qui descendent de la chaîne des montagnes intérieures, gonflées par les pluies et refoulées par les sables de leurs barres, se répandent en marécages le long de la côte, les détritus de cette luxuriante végétation exhalent des miasmes mortels, même pour les indigènes ; ceux-ci ne connaissent aucun remède contre la terrible fièvre des bords de la mer, et c’est ce fléau, plus encore que le génie hostile de Ranavalo, qui protège l’indépendance de Madagascar. Ses pernicieuses influences ne se font plus sentir à environ huit lieues du rivage, l’air devient alors parfaitement sain et pur ; mais, comme le littoral seul peut servir de point de départ aux établissemens des Européens, l’obstacle subsistera dans toute sa force jusqu’à ce qu’il soit possible d’assainir par des travaux de canalisation et de grands abatis d’arbres des portions de la côte.

Peu d’animaux fréquentent ces forêts : on y voit surtout des oiseaux aux brillans plumages, des lézards jaunes, bruns, rayés, vert émeraude, et des serpens pour lesquels les indigènes ressentent une terreur superstitieuse. Ils ne les tuent pas. M. Provint raconta à son hôte qu’un jour à son réveil, après avoir dormi en plein air, comme il relevait sa natte, il vit avec horreur qu’un serpent long de six