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se couvre à Ingouville d’arbres touffus et de somptueuses habitations : la plaine humide de Leure s’étend au pied du revers méridional du plateau, et la mobilité de ses rivages reproduit sous nos yeux les phénomènes maritimes qui en ont déterminé la formation. En tête de cette alluvion récente, Le Havre appelle dans ses bassins hospitaliers toutes les marines du globe, et l’on sent dans l’élégance grandiose de ses aspects le faubourg et le port de Paris. La Seine ouvre sa large bouche entre les hautes falaises de Caux et les collines verdoyantes du pays d’Auge. Celles-ci se prolongent jusqu’à la pointe de Beuzeval, au pied de laquelle s’épanchent les eaux dormeuses de la Dives. Une ligne de 24 kilomètres de longueur, obliquement tirée de la pointe de Beuzeval au cap de La Hève, est aux yeux des marins la limite de la Seine maritime : quand ils l’ont franchie en venant du large, ils se croient en rivière, et tout avancée en mer qu’est cette démarcation, elle n’est point aussi arbitraire qu’on pourrait le supposer : elle est tracée sur le talus des sables que l’embouchure de la Seine reçoit de la mer et de l’intérieur des terres, et n’est franchissable aux grands navires que par les hautes mers de vive-eau. L’indication de cette circonstance suffit pour faire sentir que si cette accumulation de sables s’exhaussait sensiblement, Le Havre, n’admettant plus que des bâtimens d’un faible tirant d’eau, tomberait au rang des ports secondaires. Des travaux imprudens pourraient conduire à ce fatal résultat ; mais avant de chercher dans l’étude du régime hydraulique de l’embouchure de la Seine quelques lumières sur l’étendue de ce danger et les moyens de le conjurer, il convient de voir ce qu’est devenue, par ses avantages propres et par les relations dont elle est le foyer, une plage qui n’était, à l’avènement de François Ier, qu’un marais infect et inhabité.

Ce prince, qui représentait si bien les défauts de sa nation, monta sur le trône à l’âge de vingt-un ans, le 1er janvier 1515. Vainqueur à Marignan le 13 septembre suivant, il prenait possession du Milanais avec l’aveugle fantaisie de le garder. Il est informé, au sein de son triomphe, que l’appui généreux qu’il a promis à l’enfance du roi d’Ecosse, Jacques V, rallume les ressentimens de Henri VIII, qu’en Espagne l’alliance de Ferdinand le Catholique devient de plus en plus équivoque, qu’en un mot, tandis qu’il couve l’Italie, la France est menacée sur ses côtes septentrionales et sur les Pyrénées[1]. Il repasse à la hâte les Alpes au travers des neiges de février, et reconnaît à son arrivée à Paris que, si le danger n’est pas tout à fait

  1. Mémoires de messire Martin Du Bellay, contenant le discours de plusieurs choses advenues au royaulme de France depuis l’an 1513 jusqu’au trespas du roy François Ier. In-folio, Paris 1582.