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s’occupa plus de la marine de la Méditerranée que de celle de l’Océan, et Rouen suffisait de son temps à des échanges dont la Seine était le seul véhicule. Enfin le cardinal de Richelieu, nommé surintendant de la navigation en 1626, se donna deux ans après, dans des intérêts évidemment plus politiques que commerciaux, le gouvernement supérieur, du Havre. La vive impulsion qu’il imprima aux travaux hydrauliques et aux constructions navales changea l’aspect du pays, et le commerce profita de tout ce qui fut fait pour la guerre : le cardinal savait d’ailleurs que la force militaire s’alimente des produits de la paix. Le fruit des travaux de ce grand homme d’état se perdit, ou peu s’en faut, pendant la minorité de Louis XIV : le port ne fut pas même entretenu. Lorsqu’en 1664 le chevalier de Clerville fit, par ordre de Colbert, l’inspection de la côte, bien des maux étaient déjà réparés ; cependant le chenal était, par suite de la ruine des écluses de chasse, en si mauvais état, que les navires de 400 tonneaux n’entraient qu’aux syzygies. Le port possédait quinze navires pour la pêche de la morue, seule grande navigation qu’il fît alors, trente barques pour le cabotage avec Rouen et quatre-vingt-douze bateaux de pêche. Le commerce international était tout entier aux mains des marines étrangères, et Dieppe en décadence l’emportait sur Le Havre en progrès. La place jouissait néanmoins d’une activité principalement due, suivant le chevalier de Clerville, au crédit qui permettait aux négocians de tirer de Rouen et de Paris autant de fonds qu’ils voulaient à l’intérêt de 25 pour 100. Cette usure, que nous trouverions effrayante, était avec raison acceptée comme un bienfait, elle n’empêchait pas le pays de grandir ; la population se trouvait à l’étroit dans les fortifications, et Colbert calculait les accroissemens qu’elle devrait à l’élargissement de l’enceinte et au creusement des bassins, qui furent plus tard l’ouvrage de Vauban. L’année suivante, fut créée la compagnie des Indes, qui fit du Havre le siège d’un de ses établissemens. En 1698, deux compagnies se formèrent au Havre pour commercer, l’une avec le Maroc, l’autre avec le Sénégal, et, ce qui prouve combien peu de choses sont nouvelles sous le soleil, le luxe de leur installation et le chiffre de leurs dépenses les firent bientôt tomber. À la suite de ces vicissitudes, la population civile du Havre était en 1723 de 12,280 habitans, et la population militaire, maritime ou passagère, de 3,087[1]. Sous Louis XV, le commerce du Havre

  1. Ce résultat est celui d’un dénombrement par quartiers, rues, maisons et familles, fait pour la perception de l’impôt par ordre du contrôleur-général des finances, et si le résumé suffit à l’examen des faits généraux, les détails auraient pour l’histoire locale un assez vif intérêt. Le manuscrit forme un volume in-4o ; il est à la Bibliothèque impériale.