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même une preuve palpable. Depuis 1846, une estacade, sous la protection de laquelle se sont formés un chenal et un port excellens, s’allonge à l’embouchure de la Touques ; elle a arrêté la marche des sables qui obstruaient le lit de la rivière. Dans ces douze années, la plage de la rive gauche de la Touques s’est exhaussée de plusieurs mètres ; la retenue de sable s’est allongée de jour en jour : la queue en est actuellement à deux kilomètres de l’estacade, et les nouvelles dunes qui s’élèvent sur cette base sont déjà gazonnées sur une étendue d’une vingtaine d’hectares. Par une conséquence naturelle, la plage des baigneurs s’est abaissée sur la rive droite d’environ deux mètres : elle est restée soumise à l’action du courant qui la corrode, et les sables qui devraient remplacer ceux qu’elle perd sont restés de l’autre côté de la rivière.

Pour compléter, sans sortir des limites de l’embouchure de la Seine, l’exploration des sources des dépôts qui s’y fixent, il suffit presque de quelques promenades sur les sommets et au pied des falaises comprises entre la pointe de Beuzeval et Honfleur. Dédaignât-on les observations auxquelles se prêtent les coupes à vif de terrain et les marques des sapes pratiquées par la mer, on sera bien dédommagé d’un peu de fatigue par la magnificence du spectacle qu’on aura sous les yeux : d’un côté, les herbages touffus où le coursier normand hennit au milieu des bœufs à l’engrais qui ruminent, les sommets couronnés de grands bois, les guérets ombragés de pommiers, les habitations champêtres tapissées d’espaliers ; de l’autre, une mer où des essaims de bateaux pêcheurs sont traversés par les lourds navires qui apportent à la France les tributs des tropiques et des mers polaires ; dans le lointain, pour cadre à ce tableau, Le Havre avec sa forêt de mâts et les falaises du pays de Caux ; dans le fond, le lit de la Seine se dérobant dans la bruine ou resplendissant sous les feux du soleil.

Les falaises qui se montrent à l’ouest de Trouville sont les extrémités des branches du rameau montueux dont l’arête sépare le bassin de la Touques de celui de la Dives. Toutes sont évidemment les racines d’anciens caps que les courans du littoral ont rongés, dont les débris ont comblé les anses intermédiaires, et malheureusement la côte, en perdant son relief, ne s’est point soustraite aux érosions. Les sommets des falaises de Bénerville sont bouleversés sur une zone de 150 mètres de large ; le terrain a coulé sur sa base, et les inégalités confuses de sa superficie sont les traces d’une récente dislocation : ses fissures profondes se remplissent des eaux des pluies, et de nouveaux glissemens se préparent, d’autant plus certains que la mer a balayé le pied des talus qui pouvaient les arrêter. À Auberville, où les falaises ont 120 mètres de hauteur, les éboulemens