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songez à votre mère et à moi, et ne dites jamais de pareilles choses ; ce sont là de mauvaises paroles et de mauvaises idées. Voudriez-vous me laisser la honte et le repentir d’avoir aimé un lâche ?

— Le suicide n’est pas une chose si lâche que vous croyez ; ce qui est lâche, c’est de le présenter comme une menace. Je ne vous en parlerai plus, soyez tranquille ; mais vous, que parlez-vous de m’aimer ? Si vous m’aimiez, ne trouveriez-vous pas des forces suprêmes, des moyens de persuasion exceptionnels, prodigieux au besoin, pour détruire l’antipathie et la résistance d’un enfant ? Une mère est plus qu’un frère, mille fois plus sous tous les rapports : eh bien ! moi, je vous affirme, je vous jure que si la mienne s’opposait à notre mariage, je viendrais à bout de l’y faire consentir et de la rendre heureuse quand même, après qu’elle aurait cédé ; je sais que vous auriez la volonté et le pouvoir de vous faire aimer d’elle. Pensez-vous donc que je n’aurais pas le même pouvoir et la même volonté vis-à-vis de Hope ? Doutez-vous de mon cœur et des forces de mon dévouement ? Oui, vous en doutez, puisqu’au lieu de m’appeler auprès de lui pour le soigner, le servir, le fléchir et le convaincre, vous m’éloignez, vous me défendez de paraître devant ses yeux, et vous entretenez ainsi cette tyrannie de malade qui pèsera, si vous n’y prenez garde, sur tout le reste de votre vie, et probablement sur le bonheur de votre père !

Ce dernier mot frappa Love plus que tout le reste. — Ce que vous dites est vrai, répondit-elle, pleurant toujours avec une douceur navrante. Mon père souffre déjà de cette tyrannie, car il vous aime : il voyait notre mariage avec confiance, et je prévois le temps où la lutte pourra s’établir entre son fils et lui ; mais, hélas ! ajouta-t-elle plus bas en retombant dans ce découragement qui m’effrayait, ne sera-ce pas bien assez pour moi d’avoir à les mettre d’accord, sans qu’une autre lutte s’établisse au sein de la famille ? Ah ! tenez, cette position est horrible, et quand je pense que la raison ou la vie de ce malheureux enfant doit peut-être y succomber !… Vous parliez de votre mère, et cela m’a rappelé la mienne. Savez-vous que c’est elle que j’aime encore et que je ménage dans son fils ? Si vous saviez comme il lui ressemble, et comme elle l’aimait ! Elle l’aimait plus que moi. Je voyais bien sa préférence, et, loin d’en être jalouse, je donnais tous mes instans et toute ma vie à ce cher enfant. Que voulez-vous ? C’est une habitude prise dès un âge que je ne saurais vous dire, car je ne me rappelle pas le moment où j’ai commencé à m’oublier pour Hope. J’ai été bercée avec ces mots : « Il est né après toi, c’est pour que tu le serves. Tu sais marcher et parler, c’est pour que tu le devines et que tu le portes. » Et quand ma mère s’est sentie mourir, elle m’a parlé, à moi enfant de dix ans, comme