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d’espérance, au lieu de vous soutenir, vous paralyse, il faut que vous sachiez la vérité, et je prends sur moi de vous la dire. Tout est fini entre miss Butler et vous. Votre mère lui a écrit pour l’engager à se prononcer et à ne pas vous laisser dans une expectative funeste à votre santé, à votre caractère, à votre dignité. C’est M. Butler qui a répondu, et j’ai là sa lettre.

J’étais si malheureux que je reçus ce dernier coup sans paraître le sentir. Je pris la réponse de M. Butler et j’essayai de la lire ; mais elle était en caractères tellement hiéroglyphiques que je ne saisissais que des commencemens de phrases ou des mots sans suite. Je n’ai jamais souffert comme je souffris en essayant de déchiffrer cette écriture impossible. J’étais comme dans un de ces rêves où l’on voit trouble au physique et au moral, où l’on se sent étouffé et emprisonné par un nuage qui vous suit et vous presse, en quelque endroit que l’on se mette pour s’en délivrer. Ma sentence était sous mes yeux, mais c’était comme un mystère impénétrable dont je ne pouvais saisir ni les causes ni les motifs. Je rendis la lettre à M. Louandre en lui disant : — Je ne peux pas lire ; mais qu’importe ? Je suis condamné sans appel, n’est-ce pas ?

— Je ne m’étonne pas, reprit-il, que vous ne puissiez venir à bout de déchiffrer ce grimoire à première vue. J’y ai mis trois jours, et enfin je le sais par cœur. Le voici mot à mot : « Madame la comtesse, j’ai hâte de répondre à la lettre excellente et pleine de sagesse que vous nous avez fait l’honneur de nous écrire. La santé de mon fils se rétablit de jour en jour ; mais dès que je fais la moindre tentative pour le ramener aux sentimens que lui dicteraient la raison et l’amour fraternel, de nouvelles crises se déclarent. Le pauvre enfant accepte tout et jure de se soumettre ; mais le mal physique est tellement lié chez lui à cette malheureuse jalousie, qu’il paie cruellement ses efforts pour la combattre. La situation où nous étions en quittant la France n’est donc que bien faiblement modifiée et menace de se prolonger indéfiniment. C’est pourquoi, navré comme vous, madame, de la douleur de votre cher et bien-aimé fils, mais jaloux de mériter par ma franchise la confiance dont vous daignez honorer ma fille et moi, je viens, en son nom et au mien, rendre à monsieur votre fils et à vous la parole qu’il nous avait donnée. »

Il y avait ensuite une page entière de regrets, de témoignages d’estime et de bons conseils pour moi ; mais je n’entendais plus, je crois même que je n’avais rien entendu du commencement, et que la phrase qui consommait la rupture était la seule qui m’eût frappé. J’étais comme hébété. Je me souviens que je regardais les peintures du panneau boisé placé vis-à-vis de moi, suivant de l’œil avec une