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du tout au tout. « Mon cher Knowles,… vous trouverez ci-jointes quelques lignes auxquelles je compte bien que vous ne refuserez pas d’apposer votre signature, et qui, je l’espère, vous satisferont… » Ces quelques lignes étaient un petit engagement réciproque qui assurait à Sheridan Knowles, pour une pièce originale en cinq actes, à la convenance de Charles Kean, et que ce dernier seul aurait pendant trois années le droit de représenter, un premier paiement fixe de 600 liv. sterl. (15,000 fr.) ; puis, dès la troisième représentation, une prime supplémentaire de 50 livres, une autre de même somme due à partir de la sixième représentation, ainsi de suite pour la neuvième, la quinzième, la vingtième, la vingt-cinquième, la trentième et la quarantième, le total se montant alors à 1,000 livres sterling (25,000 fr.). Les bénéfices de l’impression de la pièce, autorisée après six représentations, restaient à l’auteur. Eh bien ! le croira-t-on ? toute cette munificence fut étalée en pure perte. Sheridan Knowles, un honnête homme fort original et très désintéressé, quoique fort peu riche, refusa de mettre ainsi sa muse aux gages d’une vanité personnelle ; mais Charles Kean n’en eut pas pour cela le démenti. En 1845, il partait pour l’Amérique, emportant avec lui en manuscrit la pièce intitulée the Wife’s Secret, qu’il avait achetée avant même qu’elle ne fût écrite, et qu’il paya 400 livres sterling (10,000 fr.) à un écrivain beaucoup moins célèbre que Bulwer et Knowles[1]. Cette petite spéculation ne fut point malheureuse. Le Secret de la Femme réussit en Amérique, et réussit encore à Haymarket, lorsque Charles Kean l’y eut réimporté. La reine à cette occasion honora de sa présence un théâtre secondaire où nous croyons qu’on la voit assez rarement, et peut-être faut-il faire dater de là les relations de l’habile tragédien avec les gentilshommes de la chambre, relations qui lui valurent en 1848 les honneurs gratuits et le titre imposant de maître des menus plaisirs (master of revels). Après quelques années de faveur, il les paya plus tard de certains petits déboires que l’inconstance des cours n’épargne pas toujours à l’humble dévouement, au zèle empressé des amuseurs officiels ; mais sur ces détails douloureux le biographe glisse d’une plume discrète et légère[2]. Pourquoi ne l’imiterions-nous pas ?

  1. M. G. Lovell, auteur du roman intitulé the Trustee et de quelques drames bien accueillis, the Merchant of Bruges, Love’s Sacrifice, etc.
  2. The Life and Times of Ch. Kean, t. II, ch. XI, p. 232 et suiv., où l’on verra comme quoi un simple spéculateur, M. Mitchell, demeura chargé d’organiser les fêtes dramatiques données à l’occasion du mariage de la princesse royale d’Angleterre avec le prince Frédéric-Guillaume, héritier présomptif de la couronne de Prusse (janvier 1858). Alas poor Yorick'' ! Pauvre master of recels ! Il faut ajouter, pour être juste, qu’il refusa très noblement de participer aux plaisirs dont on lui enlevait la direction, et par conséquent aux bénéfices considérables que réalisa, dit-on, M. Mitchell en cette mémorable occurrence. Nous les avons entendu évaluer à 10 ou 12,000 liv. st. (de 250 à 300,000 fr.).