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En Lombardie, où la propriété est très divisée, les fidéicommis sont rares, et l’égalité de partage entre les enfans, combinée avec les progrès rapides du tiers-état, fait passer la possession de la terre entre les mains d’une classe moyenne très nombreuse. Quelques familles aristocratiques conservent encore de vastes patrimoines, mais les trois mille propriétaires nobles ne possèdent tous ensemble qu’un quinzième du sol. Les traces du régime de la féodalité et du moyen âge ont presque entièrement disparu. Il n’y a plus que quelques biens, situés dans les montagnes, qui soient soumis à des dîmes ; il en est d’autres, beaucoup plus nombreux, qui sont assujettis au contratto di livello, espèce d’emphythéose perpétuelle dont l’origine remonte au temps des Romains, mais qui ne réveille aucune idée de servitude ou de dépendance humiliante, et qu’on retrouve également encore dans les îles anglaises de la Manche.

La statistique nous donne 437,723 propriétés pour 1850, ce qui, d’après le calcul de M. Jacini, ferait 350,000 propriétaires[1]. Comme la population s’élevait, au 31 août 1854, à 2,835,219 âmes, il y aurait un propriétaire par huit habitans et par 3 ¼ hectares de superficie cultivée ou par 6 1/5 hectares de surface totale. Certains économistes anglais, et ceux qui les écoutent, diront peut-être que cette grande subdivision du territoire le réduira en poussière, qu’elle fera du pays, suivant leur expression, une garenne de pauvres, et qu’il le préparera à un inévitable asservissement. Ce sont de vaines déclamations et des craintes chimériques, suffisamment démenties par l’exemple de la Suisse, où l’on trouve à la fois beaucoup de liberté et de richesse et un sol très morcelé. D’ailleurs le morcellement en Lombardie est contenu dans des limites convenables, et il s’étend moins rapidement que la population ne croît. De 1838 à 1850, la population s’est élevée de 2,471,634 à 2,723,815, et le nombre des propriétés de 385,826 à 437,723. Le premier chiffre a augmenté dans ces douze années de 10,20 pour 100, le second de 11,54 pour 100. La subdivision des patrimoines ne se fait donc que lentement, et en général elle n’a lieu que lorsqu’elle ne peut nuire aux exigences de la culture. Dans les provinces de Milan, de Lodi et de Crémone, la population augmente plus vite que la propriété ne se subdivise. Dans la province de Pavie, elle tend même à se concentrer relativement dans un petit nombre de mains.

  1. Ce chiffre me parait un peu exagéré. M. Jacini se contente de réduire de 1/5e le chiffre des propriétés pour obtenir celui des propriétaires ; mais dans la Valteline, par exemple, je trouve pour 20,138 familles 52,146 propriétés, ce qui ferait, d’après le compte de M. Jacini, deux propriétaires par famille, résultat difficile à admettre. En France, sur 36,309,344 habitans en 1855, on comptait 7,846,000 propriétaires sur une surface totale de 52,780,703 hectares, soit un propriétaire par 6,72 hectares et par 4,7 habitans. Le nombre des propriétaires est donc plus grand en France qu’en Lombardie proportionnellement à la population, et à peu près le même en proportion de la surface.