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en accuser les hommes, non pas ceux qui font profession de craindre et de haïr la liberté, mais ceux qui, en ayant connu les nobles émotions et en ayant senti la bienfaisante influence, se sont laissé vaincre et décourager par les événemens. Il y a parmi ceux-là des hommes éprouvés qui ont dû à la liberté l’honneur de leur nom et l’autorité de leur talent sur leurs contemporains, puissance précieuse qu’il leur a plu de laisser inactive ; il y a aussi des hommes jeunes qui n’ont pas trouvé en eux assez de chaleur et assez de foi pour tenter des efforts qui leur paraissaient devoir demeurer stériles. Les uns et les autres ont semblé croire que le fait pouvait longtemps dominer l’idée, que la chose pouvait vaincre l’esprit. Leur excuse apparente était le rétrécissement prodigieux du cercle où s’était autrefois exercée l’activité publique ; mais en dehors et au-dessus des contingences de la politique courante, la vaste et haute sphère des idées générales, des principes sociaux, de la philosophie politique et de l’histoire animée, ne demeurait-elle pas ouverte ? Puis la cause de la liberté était malheureuse. N’est-ce pas le plus merveilleux des stimulans pour les âmes chaleureuses et pour les talens qui sentent leur sève de servir une noble cause dans ses revers et de reconquérir pied à pied avec elle et pour elle le terrain perdu ? Nous avons donc tous, sauf un petit nombre, été coupables du marasme intellectuel et moral qui a envahi la France. Parmi cette élite qu’il faut excepter figure en première ligne l’auteur des Souvenirs et Réflexions politiques d’un journaliste, M. Saint-Marc Girardin. L’illustre journaliste, puisqu’il se pare fièrement de ce titre, qui dans quelques bouches grossières est presque devenu une injure, n’a jamais désespéré du succès de notre cause et n’a jamais cessé d’y travailler. On admire justement l’esprit de M. Saint-Marc Girardin ; mais ce que nous admirons plus que son esprit, c’est son bon sens ; plus que son bon sens, c’est sa constance dans les opinions libérales de sa jeunesse. Nous ne pouvons songer ici à apprécier un livre qui demanderait une étude spéciale, et qui restera comme une des pages les plus brillantes et les plus instructives de l’histoire des idées politiques de notre époque. Il nous suffira, pour en indiquer l’intérêt, de dire que M. Saint-Marc Girardin y a réuni les plus importantes discussions qu’il a soutenues dans le Journal des Débats, enjoignant aux anciens articles qu’il a reproduits un commentaire où ses jugemens d’autrefois sont contrôlés par l’expérience présente. On pressent les jeux de lumière qui sortent de ces fines et sagaces confrontations du présent avec un passé tout à la fois si rapproché et si éloigné de nous. M. Saint-Marc Girardin peut ainsi éclairer les erreurs et les défauts des deux époques et dégager de cette étude de nobles et sûres leçons pour l’avenir. Là est la portée utile et féconde de son livre. Au lieu de décourager et de restreindre son libéralisme, l’expérience l’a élargi. C’est ainsi que M. Saint-Marc Girardin rejoint les tendances de la nouvelle école libérale française qui veut oublier les divisions factices de partis qui n’ont plus de sens pour les générations contemporaines, et s’asseoir sur l’immense base de notre démocratie, qui ne sera une démocratie véritable que le jour où l’édifice de ses institutions sera enfin couronné par la liberté. e. forcade.

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V. de Mars.