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haute fortune, témoignait à Mme Récamier les mêmes sentimens, et recevait d’elle, dans la mauvaise, les mêmes marques de fidèle sympathie. À l’autre pôle du monde politique, parmi les belles dames de l’ancienne aristocratie française, Mme Récamier ne rencontrait pas moins d’empressement et de faveur. La comtesse de Boigne devenait pour elle une intime et constante amie. Sans intimité, et dans une relation passagère, la duchesse de Luynes et la duchesse de Chevreuse, sa belle-fille, se livraient au charme de son commerce. La dernière, cette fière personne qui, après s’être tristement résignée à être dame du palais impérial, s’en était vengée et consolée en répondant à l’empereur Napoléon, qui voulait l’attacher au service de la reine d’Espagne, Marie-Louise, détrônée et détenue à Fontainebleau : « Je peux bien être prisonnière, mais je ne serai jamais geôlière, » la duchesse de Chevreuse, exilée à Lyon et presque mourante, écrivait à Mme Récamier : « Je regrette bien de n’avoir pas été un peu de vos amies à Paris ; j’aurais pu alors vous être ici de quelque ressource. Véritablement, je vous dirais, comme saint Augustin au bon Dieu : « Charmante beauté, je vous ai vue trop tôt sans vous connaître, et je vous ai connue trop tard. » Excusez ce petit transport qui me donne assez l’air d’un de vos correspondans, et dites-vous que nous vous aimons beaucoup toutes deux. » Enfin des étrangères, des femmes célèbres pour leur propre compte dans le monde européen, Mme de Krudner et Mme Svetchine, cédaient comme d’autres, même malgré des préventions défavorables, à l’attrait de Mme Récamier, et le lui exprimaient de façons très diverses, mais également significatives. Mme de Krudner, désirant et craignant tour à tour de l’attirer dans les réunions de prières et de conférences mystiques qu’elle consacrait à la conversion des assistans, surtout à celle de l’empereur Alexandre, lui faisait écrire par Benjamin Constant : « Je m’acquitte avec un peu d’embarras d’une commission que Mme de Krudner vient de me donner. Elle vous supplie de venir la moins belle que vous pourrez. Elle dit que vous éblouissez tout le monde, et que par là toutes les âmes sont troublées et toutes les attentions impossibles. Vous ne pouvez pas déposer votre charme, mais ne le rehaussez pas. » Plus sérieuse, quoique sous une forme souvent subtile et peu naturelle, Mme Svetchine, après ses premières relations avec Mme Récamier, lui écrivait de Naples : « Notre rapprochement, nos impressions si rapides, ma joie, ma peine, tout cela me paraît comme un rêve ; je sais seulement que je voudrais avoir toujours rêvé. Je me suis sentie liée avant de songer à m’en défendre ; j’ai cédé à ce charme pénétrant, indéfinissable, qui vous assujettit même ceux dont vous ne vous souciez pas. Si nous nous étions trompées toutes deux, je serais sans consolation,