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surtout avec M. de Chateaubriand le beau don de développer ce qu’il y avait en eux de meilleur et de plus satisfaisant pour eux-mêmes comme pour leurs relations avec les hommes, leurs instincts élevés, leurs bons désirs, leurs sentimens généreux et équitables. Elle excellait à toucher sans bruit les cordes nobles et douces de l’âme, à panser les blessures du cœur ou de l’amour-propre, à distraire les tristesses en remplissant et animant doucement la vie. « Peut-être parviendrez-vous, lui écrivait M. Ballanche, à faire trouver en moi des choses qui y sont enfouies. J’en suis certain, s’il y a quelque chef-d’œuvre de caché dans le secret de mon âme, c’est vous seule qui pouvez faire qu’il se réalise. Votre présence si pleine de charme, les doux reflets de votre âme seront pour moi une inspiration puissante. Vous êtes une poésie tout entière ; vous êtes la poésie même. » Plus tard, et en lui parlant de M. de Chateaubriand, il lui disait : « La tristesse dont il est obsédé ne m’étonne point ; la chose à laquelle il avait consacré sa vie publique est accomplie. Il se survit, et rien n’est plus triste que de se survivre ; pour ne pas se survivre, il faut s’appuyer sur le sentiment moral. Votre douce compassion sera son meilleur asile. J’espère que vous le convertirez au sentiment moral ; vous lui ferez comprendre que les plus belles facultés, la plus éclatante renommée ne sont que de la poussière, si elles ne reçoivent la fécondité du sentiment moral. » M. de Chateaubriand a dépeint lui-même le bien que lui faisait Mme Récamier et l’état presque tranquille et doux auquel elle l’avait amené. Après avoir, dans ses Mémoires, décrit l’Abbaye-aux-Bois, le couvent tout entier, la chambre que Mme Récamier y occupait, la société choisie qui s’y réunissait, il ajoute : « Agité au dehors par les occupations politiques ou dégoûté par l’ingratitude des cours, la placidité du cœur m’attendait au fond de cette retraite, comme le frais des bois au sortir d’une plaine brûlante. Je retrouvais le calme auprès d’une femme dont la sérénité s’étendait autour d’elle sans que cette sérénité eût rien de trop égal, car elle passait au travers d’affections profondes. Le malheur de mes amis a souvent penché sur moi, et je ne me suis jamais dérobé au fardeau sacré ; le moment de la rémunération est arrivé ; un attachement sérieux daigne m’aider à supporter ce que leur multitude ajoute de pesanteur à des jours mauvais. En approchant de ma fin, il me semble que tout ce qui m’a été cher m’a été cher dans Mme Récamier, et qu’elle était la source cachée de mes affections. Mes souvenirs de divers âges, ceux de mes songes comme ceux de mes réalités, se sont pétris, mêlés, confondus, pour faire un composé de charmes et de douces souffrances dont elle est devenue la forme visible. Elle règle mes sentimens, de même que l’autorité du ciel a mis le bonheur, l’ordre et la paix dans mes devoirs. »