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vante à travers le petit salon qui me séparait de la chambre de Love : — Marguerite, lui criai-je, vous ne devriez pas laisser la demoiselle se fatiguer comme ça. Apportez —moi donc ces cailloux, c’est mon affaire de les casser !

— C’est donc Jacques qui est là ? dit Love à la servante. Par quel hasard ? Que veut-il ? — Et, sans attendre la réponse, elle m’appela. — Venez, mon bon Jacques, cria-t-elle, venez me dire bonjour. — Et quand je fus près d’elle, m’informant de son état : — Je vais très bien, grâce à vous, reprit-elle. N’ayant point fait un pas, je n’ai pas empiré le mal, et j’espère que ce sera bientôt fini. Et vous ? cela vous fait un jour ou deux de repos que vous ne devez pas regretter : vous devez en avoir besoin. Nous sommes de terribles marcheurs, n’est-il pas vrai ? et encore plus désagréables quand nous nous cassons les jambes !

Puis, comme je répondais selon les convenances de mon rôle, elle me regarda attentivement. J’avais eu le courage de laisser ma barbe longue, mes ongles noirs et mon sordide gilet de velours avec les manches de laine tricotée et la ceinture en corde. Je crus qu’elle tâchait de retrouver l’homme élégant et soigné d’autrefois sous cette carapace ; mais le résultat de cet examen fut d’une prosaïque bonté. — Je vois, dit-elle, qu’en tout temps vous portez des vêtemens chauds. C’est bien vu dans un climat si capricieux ; mais cela doit vous coûter assez cher. Je veux vous donner deux beaux gilets de flanelle rouge que j’ai là et dont mon père n’a pas besoin. Il en a plus qu’il ne lui en faut pour le voyage. Marguerite, fouillez, je vous prie, dans cette malle ; vous trouverez cela tout au fond. — Et quand elle eut les camisoles dans les mains, comme je refusais de les prendre : — Vous ne pouvez pas dire non, reprit-elle ; c’est moi qui les ai cousues moi-même, parce que mon père est très délicat et trouve que personne ne lui fait comme moi des coutures douces et plates. Voyez, ajouta-t-elle avec une importance enfantine, et comme si elle eût parlé à un enfant, c’est très joli, ces coutures brodées en soie blanche sur la laine rouge. Si vos camarades se moquent de vous, vous leur direz que c’est la mode.

Mais tout en babillant avec moi d’un ton de bonne maîtresse, elle reprit son marteau et ses laves. Je les lui ôtai des mains sans façon, à son grand étonnement. — Demoiselle, lui dis-je, il ne faut pas frapper ainsi ; ça vous répond dans votre pied malade. Laissez-moi faire. Est-ce qu’un bon guide ne sait pas échantillonner pour les amateurs et les savans ?

— Si vous savez, à la bonne heure ! mais prenez bien garde de briser les petits morceaux de feldspath qui sont pris dans le basalte.

— Faites excuse, demoiselle, ça n’est pas du feldspath, répon-