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Il ne devait pas être indifférent à lord Elgin de connaître les pièces de ce dossier au moment même où il se rapprochait de Pékin. Il savait ainsi à quelles gens il aurait affaire, comment les Chinois apprécient les Européens et pratiquent la diplomatie ; d’après le récit des négociations de Tien-tsin en 1854, il pouvait pressentir l’effet que produiraient la plupart de ses propositions. Les archives de Canton lui avaient livré plusieurs scènes de l’incroyable comédie qui se joue très sérieusement à propos de l’Europe entre les mandarins et la cour. Il voyait clair dans cet imbroglio, où l’empereur de Chine apparaît comme une dupe auguste servie par la plus respectueuse et la plus complète mystification qui ait jamais été organisée autour d’un trône. Enfin il lui était facile de discerner, à travers ces bouffonneries, certaines idées, certains préjugés aussi solides que des principes, sur lesquels il devait s’attendre à rencontrer des obstacles presque invincibles et une résistance désespérée. Nous pouvons maintenant, après avoir fait comme lui cette curieuse étude, le rejoindre dans le golfe du Petchili.


III

Les plénipotentiaires d’Angleterre, de France, de Russie et des États-Unis arrivèrent le 20 avril 1858 à l’embouchure du fleuve Pei-ho. Dès le 24, lord Elgin fit transmettre au premier ministre, à Pékin, une dépêche dans laquelle, rappelant la communication qu’il lui avait déjà adressée de Shang-haï à la date du Il février, il réclamait l’envoi dans le délai de six jours d’un haut fonctionnaire dûment accrédité par l’empereur pour conclure un traité. Le 28 avril, on apporta une réponse de Taou, gouverneur-général du Petchili, annonçant qu’il venait d’être désigné conjointement avec deux autres mandarins pour suivre les négociations ; mais dans cette pièce le nom de la reine d’Angleterre n’était point écrit sur la même ligne que celui de l’empereur de Chine. Lord Elgin la renvoya donc, et le 30 il recevait une seconde édition de la lettre, édition très correcte cette fois et augmentée d’un post-scriptum qui rejetait sur le copiste l’inconvenance qui avait été relevée.

L’ambassadeur anglais voulut alors savoir si Taou et ses collègues avaient bien les pouvoirs diplomatiques nécessaires pour signer un traité, et il demanda une explication immédiate. Ce préliminaire donna lieu à une correspondance qui se prolongea jusqu’au 10 mai sans que l’on pût se mettre d’accord. Une rupture complète était déjà imminente, lorsque le 17 le comte Poutiatine annonça que, d’après une lettre qu’il venait de recevoir de Taou, l’empereur refusait formellement d’admettre à Pékin des ambassadeurs étrangers. Cet avis officieux leva toute incertitude. Le 20r lord Elgin signifia