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nous dirions plus vulgairement, pour essuyer les plâtres de la nouvelle ambassade, on se bornât à envoyer un modeste chargé d’affaires, qui serait à la fois moins compromis et moins compromettant, parce qu’il exciterait peut-être moins d’alarmes, et que son humble grade exigerait moins d’égards et de considération personnelle. Bref, il est évident que le consul de Sharig-haï n’était point pour l’ambassade à Pékin, et s’il prend quelques détours, s’il cherche un expédient, c’est qu’il ne veut pas combattre de front l’opinion connue d’un lord, et que l’on trouve ailleurs qu’en Chine des subordonnés qui ne se soucient pas de rompre trop directement en visière à leurs supérieurs. N’avons-nous pas encore l’aveu implicite de l’interprète, M. Lay, qui, répondant à une pressante interpellation de Kouei-liang, ne pouvait s’empêcher de reconnaître que le commissaire impérial disait à peu près vrai lorsqu’il déclarait la proposition fatale pour la Chine ? En présence de ces documens, de ces indices multipliés, devant tout ce qu’il savait, voyait et entendait à Tien-tsin, comment lord Elgin n’a-t-il pas eu la pensée de s’arrêter à temps ? Le ministre russe et le ministre des États-Unis n’avaient point insisté pour cette clause, et leurs traités avaient été immédiatement signés. On n’a point publié le texte du traité français ; mais il résulte des déclarations de Kouei-liang et de lord Elgin qu’il n’y a point dans cet acte de stipulation spéciale pour la résidence permanente d’un ambassadeur à Pékin. Pourquoi donc lord Elgin était-il seul à s’obstiner contre la résistance des commissaires impériaux ? pourquoi assumait-il seul, au nom de l’Angleterre, une responsabilité dont ses collègues de France, de Russie et des États-Unis, ne croyaient point devoir se charger ? L’ambassadeur anglais a été accusé de faiblesse à cause de ses concessions de Shang-haï : il conviendrait plutôt de lui adresser le reproche contraire, à cause de ses exigences de Tien-tsin.

Il devait lui en coûter, cela est vrai, de renoncer à une partie essentielle de son programme, de détruire des espérances et de dissiper des illusions qu’il avait fait naître, de paraître reculer devant des Chinois ; mais quoi ! les bonnes raisons manquaient-elles pour justifier un peu plus de modération et de générosité vis-à-vis de ces mandarins à genoux ? Ne pouvait-on pas dire : — L’Europe désire l’extension et la sécurité de son commerce avec la Chine ? Déjà, depuis 1842, elle a plus que doublé le chiffre de ses anciennes transactions. Il a suffi pour cela de l’ouverture de quelques ports où les affaires se traitent facilement et beaucoup mieux que dans l’incorrigible ville de Canton ; on y fait même très commodément la contrebande, ce qui n’est pas indifférent à un certain nombre de négocians qui déclament, comme de raison, contre la déloyauté des