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ville, dont les longues rangées de maisons blanches apparaissaient au-dessus des berges argileuses. De petits bassins à flot creusés sur la rive du caño et remplis de bongos, de lanchas, de canoas ; des chantiers de construction couverts de toits en feuilles de palmier, des entrepôts où des Indiens et des noirs entassaient des denrées de toute espèce, des jetées auxquelles étaient amarrés des bateaux à vapeur, des carènes en fer battues sans relâche par le marteau de centaines d’ouvriers : tout annonçait une ville commerçante semblable à celles de l’Europe et des États-Unis. Sur le quai de la grande place où je débarquai, même animation que dans le port : des matelots allant incessamment des bongos aux magasins pour y déposer les barils et les boucauts, des femmes portant sur leur tête des corbeilles de bananes ou d’autres fruits, des marchands installés devant de petites tables et criant leurs denrées. Au milieu de la foule affairée circulaient des gamins à demi nus apostrophant les étrangers par des jurons anglais prononcés avec une remarquable perfection.

Barranquilla, située sur la rive gauche de l’une des nombreuses ramifications du Rio-Magdalena, ne date que d’hier pour ainsi dire ; mais ses progrès ne peuvent être comparés qu’à ceux d’une ville des États-Unis, tant ils ont été rapides. On n’y voit de tous les côtés que des échafaudages, des briques et du mortier. Déjà le nombre de ses habitans, si l’on tient compte en même temps de la population flottante, est plus considérable que celui de Carthagène ; en outre, l’ancienne ville de Soledad, qui s’élève à quelques kilomètres en amont sur le bord du fleuve, peut être considérée comme un simple faubourg de Barranquilla, car les habitans vivent uniquement des industries diverses que leur procure le voisinage de la grande ville naissante. De tous les côtés, celle-ci projette dans la campagne ses rues tirées au cordeau et coupées à angles droits ; il faut cependant ajouter que la plupart de ces rues sont bordées de huttes et de jardins où se groupent le cocotier et la papaya[1], semblable à une herbe gigantesque. Les maisons en pierre et à péristyle s’élèvent toutes dans le voisinage du port et autour de la grande place. Quant à la plaine environnante, elle n’offre rien de pittoresque : le sol d’argile rouge, mêlée de veines de sable, en est peu fertile, si ce n’est dans les dépressions marécageuses.

L’importance de Barranquilla est due presque tout entière aux commerçans étrangers, anglais, américains, allemands, hollandais, qui s’y sont établis dans les dernières années : ils en ont fait le principal centre des échanges avec l’intérieur et le marché le plus considérable

  1. Carica papaya.