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d’un jeune guide indien nommé Pablo Fonseca. En moins d’un quart d’heure, nous avions contourné une forêt de grands arbres, et nous arrivions en vue de Pueblo-Nuevo de la Cienega ? Cette ville, qu’on appelle communément La Cienega tout court, est située dans une plaine unie comme la surface d’un lac, au pied des montagnes de la sierra, vertes à la base, bleues au sommet, et coupées de vallées ombreuses. Du côté de la mer, le sol est presque nu et n’a d’autre végétation que des salsoles et des salicornes ; mais tout autour des maisons s’épanouissent des arbres touffus qui font à la ville comme un nid de verdure, et du milieu desquels jaillissent les hampes des cocotiers. À l’intérieur, La Cienega ne dément pas ce qu’elle promet vue à distance : les rues, larges et droites, sont assez animées ; les maisons blanchies à la chaux sont presque toutes couvertes en tuiles ; à travers les portes entr’ouvertes des jardins, on aperçoit des arbustes en fleur. De tous les côtés s’élèvent de nouvelles constructions, témoignages des progrès matériels de La Cienega. Sa population, forte de six mille âmes, dépasse aujourd’hui celle de Sainte-Marthe, la capitale de l’état souverain de Magdalena ; cependant La Cienega ne compte au nombre de ses habitans, ni hommes de race blanche, ni négocians étrangers, comme Sainte-Marthe et Barranquilla : elle est peuplée d’Indiens et de métis, qui ne doivent leur prospérité qu’à eux-mêmes. Sur les hauts plateaux de l’intérieur de la Nouvelle-Grenade, l’antagonisme des races produisit la révolte des communeros vers la fin du siècle dernier, et finalement amena la guerre de l’indépendance et l’expulsion des Espagnols ; depuis cette époque, les descendans des Muyscas[1], ayant reconquis leur nationalité et formant de beaucoup la plus grande partie des habitans de la Nouvelle-Grenade, ont à peu près absorbé les blancs, et maintenant ils sont confondus avec eux en un seul peuple. Sur les bords de l’Atlantique, il n’en est pas ainsi : la haine subsiste encore entre les deux races, et, comme deux pôles chargés d’électricité contraire, Sainte-Marthe et La Cienega se sont élevées face à face. La première a l’avantage immense d’avoir un vaste port et de commercer directement avec tous les pays du monde ; moins favorisée, La Cienega ne peut faire qu’un petit trafic de cabotage dans sa lagune et le long des rivages, mais elle a sur Sainte-Marthe le privilège d’être habitée par des Indiens faits au climat et ne redoutant pas le travail comme la plupart des blancs du littoral. Aussi les résultats de la lutte entre les deux villes sont-ils complètement en faveur des Cienegueros. Dans les vallées de la sierra, sur les rives de tous

  1. Lors de l’invasion des Espagnols, les Muyscas, qui habitaient le plateau de Cundinamarca, n’étaient guère moins civilisés que les Aztèques, Pour être aussi connus, il ne leur a manqué qu’un historien.