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Au milieu de ces rochers qui répercutaient les rayons du soleil, je ne respirais plus qu’un air embrasé, la sueur descendait à larges gouttes sur mon visage, la fatigue commençait à alourdir mes membres. Cette fatigue devint bien plus forte encore, lorsqu’au sortir d’un profond barranco je me trouvai dans un chemin sablonneux longeant la mer à quelque distance. Les cactus qui se dressaient de chaque côté du sentier, comme des rangées de pieux hauts de dix mètres, étaient trop clair-semés pour donner de l’ombre et trop épais pour laisser passer la brise marine. Quelques mimosas guamos couverts de leurs fleurs jaunes répandaient dans l’atmosphère un terrible parfum, qui me donnait le vertige. Le soleil perpendiculaire laissait tomber sur moi ses pesans rayons. À chaque pas, nous enfoncions dans un sable brûlant. « Quand arriverons-nous donc au village de Gaïra ? demandais-je souvent à mon guide, — Bientôt, tout de suite, » me répondait-il. Et je me figurais qu’au premier détour du sentier j’apercevrais sans doute une fraîche auberge environnée d’arbres touffus et se mirant dans un ruisseau ; mais je ne voyais toujours que les cactus dressés contre le ciel comme une forêt de lances. Tout à coup Pablo, fatigué comme moi, sauta sur le mulet, piqua des deux et me laissa tout seul, n’ayant pour me conduire au village que les traces des sabots de sa monture.

Comment se termina cette pénible marche, comment j’atteignis à travers de nouvelles solitudes brûlantes les bords d’un frais ruisseau, où de jeunes filles et des enfans venaient remplir leurs cruches, comment je parvins chancelant au seuil d’une cabane où quelques instans de repos et de sommeil me rendirent la vie, c’est vraiment ce que je ne saurais dire. Il y a des momens où les choses de la réalité se succèdent comme autant d’étranges et douloureuses visions. Ce que je me rappelle seulement, c’est qu’une heure après avoir quitté la cabane où une gracieuse Indienne m’avait accueilli, j’arrivai à Sainte-Marthe, au pied de cette Sierra-Nevada où la nature tropicale me réservait, à côté de nouvelles fatigues, de nouveaux sujets d’admiration.


ELISEE RECLUS.