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parce qu’ils l’ont vu trop souvent employé par les sceptiques et les malveillans ? aussi est-il devenu dans notre siècle l’axiome favori des indifférens, qui l’emploient à toute occasion pour se dispenser de prendre parti dans les luttes de la pensée. Il n’exprime trop souvent, par malheur, qu’insouciance, légèreté intellectuelle, incurie morale. Et cependant comme il est vrai et profond ! Oui, la vraie religion est naturellement tolérante, parce qu’elle place l’âme dans une disposition catholique, c’est-à-dire universelle, parce qu’elle la rend apte à tout comprendre et à tout aimer. Elle fait tomber les bandeaux qui recouvraient les yeux de l’intelligence ; elle supprime les barrières qui séparaient les écoles, détruit les inimitiés qui divisaient les différentes races d’hommes. Il lui est impossible de haïr, car la haine est inconnue à qui peut tout comprendre.

Mais autant le sentiment religieux est admirable, autant l’esprit de secte me semble misérable et médiocre. Je ne veux pas essayer de dissimuler que, de tous les êtres humains auxquels je dois donner le nom de frères, le sectaire m’est le plus antipathique, celui qui m’apparaît sous les plus sombres couleurs et dans la lumière la plus offensante pour ma vue. C’est mon semblable, je le sais, mais certainement c’est mon prochain aussi peu que possible. Je me défie instinctivement du sectaire, et je suis toujours disposé à lui attribuer les projets les plus noirs. Comment ne pas se défier d’un homme qui ne sait et ne veut comprendre que lui-même, et dont par conséquent l’âme est entachée de l’égoïsme le plus enraciné qui se puisse imaginer ? Autant l’homme religieux sait aimer, autant le sectaire sait haïr. Sa foi n’est que violence. Vos opinions lui apparaissent comme des injures adressées à son credo, et votre individu comme un ennemi personnel. Il est plus entêté que Balaam, plus opiniâtre que les Juifs charnels, toujours rétifs sous la verge vengeresse de Jéhovah. On ne peut lui en vouloir si sa main semble toujours prête à saisir un poignard, sa bouche toujours prête à s’ouvrir pour proférer une malédiction, ou quelque chose de pis, car sa pauvre cervelle débile ne peut supporter le poids de sa doctrine, qui est trop fort pour elle. Ce fardeau moral l’opprime, l’écrase, l’irrite, et le pousse à chaque instant vers toutes les extrémités. Le sectaire est fort dangereux, mais il est encore plus ennuyeux. À quelque église ou à quelque école qu’il appartienne, il n’a que certaines phrases à son service. Quand une fois il vous a dit que Luther fut un moine révolté par orgueil, que le protestantisme est la source de tous les désordres politiques, ou que l’église romaine est la Babylone décrite dans l’Apocalypse, il a tout dit, et il ne faut pas lui en demander davantage, sous peine de l’entendre se répéter. Il y a un autre type de sectaire moins ténébreux, mais aussi désagréable et tout aussi dangereux que le précédent,