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jusqu’aux lueurs avancées du soir, bien après le crépuscule, et tant qu’il reste un rayon de lumière. Elle remue sous la pensée de Dieu comme les insectes dans la lumière, avec une reconnaissante allégresse. Volontiers rêveuse, sa rêverie est mobile, pratique en quelque sorte, nullement contemplative : elle cherche dans la nature non de stériles extases, mais des baumes médicinaux. Abeille protestante, — toutes les belles âmes protestantes tiennent un peu de l’abeille, — elle butine, sur toutes les fleurs où elle se pose, le miel de la consolation… À une pareille âme, toujours en mouvement et jamais en repos, certaines qualités littéraires doivent nécessairement manquer, et en vérité nous sommes loin de le regretter, car ces qualités, après tout, lui sont aussi inutiles que la connaissance des mathématiques à un honnête ouvrier, ou la beauté à une sœur de charité. Mme de Gasparin n’est donc pas artiste, ni même poète dans le sens qu’on attache généralement à ces mots. Ses conceptions ne sont ni fortes ni dramatiques ; la déduction de ses idées n’est ni ferme ni logique. Elle laisse la description usurper la place de l’action et l’homme disparaître sous le paysage. Elle rêve, s’attarde, et soudain précipite son récit, comme si elle avait hâte d’en finir. Mme de Gasparin est cependant artiste à sa manière, artiste non dans la composition, mais dans l’expression. Elle a ces bonheurs de langage, ces rencontres de mots heureux des natures prime-sautières et naïves ; elle trouve spontanément, pour rendre ses joies, ses extases, ses souffrances, des expressions vives, fortes, qui sont comme des créations instantanées de l’âme. Montaigne, ce grand inventeur de mots vivans, n’aurait pas désavoué cette parole : « Les idées, ce train de guerre qui remue en nous. » Le prédicateur le plus éloquent ne dédaignerait pas cette belle épithète que l’auteur applique à l’action de l’Esprit saint : « L’action royale de l’Esprit saint. » Ceux qui ont lu la Bible autrement qu’avec des yeux de critique et d’historien, ceux qui ont cherché dans ses pages des consolations et le ravivement de leur foi défaillante, comprendront seuls, je le crains, mais comprendront certainement la grandeur réelle de cette ligne : « Un seul livre peut nous révéler les secrets de Dieu. Il a des mystères, il a des silences, il ne ment pas. » L’auteur a par milliers de telles expressions.

Les sentimens exprimés dans ses livres sont presque toujours profonds et portent la marque indélébile de la foi protestante. On ne saurait rien de l’auteur, qu’à la seule rencontre de ces sentimens, on devinerait quelle est sa demeure dans la cité éternelle. On y reconnaît une âme impitoyable pour elle-même, habituée à porter sur elle-même un regard inexorable, qui connaît ses moindres replis, qui sait lutter en silence, souffrir solitaire, qui est à elle-même son confesseur et son médecin. Avec cette pudeur effarouchée qui