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REVUE MUSICALE

L'ORPHEE DE GLUCK.



Nous avons aujourd’hui une bonne nouvelle à donner aux lecteurs de la Revue. Paris a pu entendre enfin un chef-d’œuvre de Gluck, non pas sur le grand théâtre de l’Opéra, pour lequel Gluck l’avait approprié en 1774, ni sur le Théâtre-Italien, où l’on donne d’indignes pastiches d’un beau génie, qui dédaigne de protester contre un si criant abus qu’on fait de son nom. C’est au Théâtre-Lyrique qu’Orphée a été repris le 18 novembre, devant une assemblée curieuse qui représentait le peuple le plus oublieux et le plus routinier de la terre. Hâtons-nous de dire que la tentative a complètement réussi, et que les oreilles progressives de l’an de grâce 1859 ont bien voulu reconnaître que le monde ne s’est pas fait en un jour, et que malgré notre science universelle, malgré nos chemins de fer et le télégraphe électrique, nous en sommes encore à ignorer comment viennent les roses et les fleurs de l’esprit humain.

Qui ne sait que Gluck, avant de venir en France tenter, non pas une révolution, comme on l’a dit, mais une transformation du drame lyrique tel que Lulli et Rameau l’avaient créé, était déjà célèbre en Italie, où il avait composé une vingtaine d’opéras ? Né le 2 juillet 1714, à Weidenwang, village du Haut-Palatinat, près des frontières de la Bohême, d’un père très pauvre, qui était garde-chasse d’un prince de Lobkowitz, Christophe Gluck apprit les élémens des lettres et de l’art musical dans les écoles publiques de la petite ville de Kommetau. Jeune encore, il fut conduit à Prague, la capitale de la Bohême, ville intéressante et riche en institutions de toute nature, où la musique était enseignée aux enfans et aux adultes. Gluck se perfectionna dans l’étude du violon et du violoncelle, apprit à chanter, et fut obligé pour vivre de chanter lui-même dans les églises, de courir le pays en donnant des concerts sur le violoncelle en pauvre virtuose de campagne. Le désir d’agrandir ses connaissances et de pénétrer les secrets d’un art pour lequel il se sentait une vocation irrésistible conduisit Gluck à Vienne, où il trouva