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dans les formes nouvelles. On compte, pour en arriver là, sur le jeu régulier d’institutions libérales modérées, et il est de fait que, pendant la carrière de dix-huit ans qu’a parcourue la monarchie de 1830, le XIXe siècle a commencé à se former et à vivre pour lui-même. Naturellement il résulte de la situation donnée que cette formation lente et graduelle ne présente pas à l’observateur de date précise qui puisse servir positivement de limite historique. Il est certain que si le régime inauguré en 1830 eût continué de prévaloir, le développement particulier du XIXe siècle se fût opéré de cette manière insensible qui ressemble à la croissance d’un corps vivant. Sans que nous ayons de jugement à émettre sur l’avantage ou le désavantage qui en est résulté, 1848 est venu, non pas donner son point de départ au XIXe siècle, qui était déjà en voie de formation, mais modifier profondément les conditions de son développement. En remettant en question beaucoup de choses que l’on croyait acquises, la révolution de février et ses conséquences, qu’il était facile de prévoir, nous ramènent en quelque sorte à un second commencement du XIXe siècle.

À mesure que nous nous sommes rapprochés du moment actuel, nous avons de plus en plus resserré nos observations dans les limites de la France : non pas que notre thèse soit fausse si nous sortons de ce pays ; mais il faudrait, pour l’appliquer à l’Europe entière, l’élargir et la modifier, et chez nous elle s’appuie sur des faits plus frappans. Nous sommes donc en France au commencement du XIXe siècle, bien que le cadran de l’histoire marque 1859, et il serait désirable que cette manière de comprendre la situation fût celle aussi de la jeunesse actuelle, à qui les découragemens de la génération précédente finiraient peut-être par persuader que l’inaction passive est la sagesse, l’espérance joyeuse la folie. Nos pères nous avaient beaucoup promis, ils nous ont peu laissé. Ne les accusons pas : peut-être ne pouvaient-ils pas faire davantage, peut-être leurs tristesses viennent-elles de ce qu’ils avaient placé leur idéal trop haut pour leurs forces et les nôtres. Sachons-leur gré de ce qu’ils ont voulu faire, et pour nous, regardons en avant. Nous avons à poursuivre leur œuvre commencée en profitant de leurs expériences. Et puis il est des terres nouvelles à l’horizon lointain, il est des cordes inconnues sur la lyre de l’humanité qui n’ont pas encore été touchées parmi nous, si ce n’est peut-être par quelques virtuoses solitaires, et dont les premières vibrations produisent des sons d’une ampleur et d’une beauté ravissantes. Que ceux qui ont des oreilles pour entendre entendent !