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présentaient la plus grande confusion. L’hôtesse, une vieille femme qui servait de la bière, m’apprit que depuis quelques années la maison s’enfonçait peu à peu : autrefois on descendait dans la cour par trois marches ; à présent on y monte. « Notre demeure tombera, ajouta-t-elle d’un air calme ; Dieu veuille que mon fils ne s’y trouve pas dans ce moment-là, car pour moi je tomberai sans doute avant elle ! » Les habitans de Northwich ont l’insouciance du marin qui traverse la mer sur un bâtiment délabré. Non-seulement les ouvrages de maçonnerie perdent chaque jour leur équilibre sur ce sol miné, mais encore il s’est fait de mémoire d’homme des changemens remarquables dans le niveau des terrains et de la rivière. On m’a montré des vallées qui autrefois étaient presque des collines. Le lit du Weaver lui-même s’est abaissé : il y a quelques années, c’est à peine si un bateau pouvait frayer son chemin dans un des coudes de la rivière ; aujourd’hui, dans le même endroit, un vaisseau de guerre pourrait manœuvrer par les grandes eaux, tant la profondeur est considérable. La cause de ces changemens est facile, à pénétrer : la ville et les environs reposent sur un sol que traversent à l’intérieur des sources abondantes ; ces cours d’eau souterrains, formés par les pluies, se salent aux dépens des masses solides de sel sur lesquelles ils coulent. Il en résulte qu’ils usent la roche et que la croûte de terre superficielle s’affaisse avec les maisons, les champs et les rivières. On ne s’étonnera plus alors de rencontrer à chaque pas les signes précurseurs d’une grande ruine. C’est le sel qui a fait Northwich ; c’est, je le crains, le sel qui la détruira. La ville se trouve en effet menacée avec le temps par les progrès d’un lent et silencieux tremblement de terre.

Si les sources de sel [salt-springs) ravagent le sous-sol, elles donnent naissance d’un autre côté à une branche de commerce florissante. Cette richesse naturelle se montre d’ailleurs très limitée ; les sources d’eau salée n’existent guère que dans deux comtés de l’Angleterre ; elles manquent entièrement à l’Ecosse et à l’Irlande. À Northwich, on les rencontre presque en sortant de la ville. Au sein d’un paysage découvert semé de prairies, d’arbres et de maisons isolées, autour desquelles paissent des chevaux et des vaches, s’élèvent de distance en distance des bâtimens d’une mine sombre, d’une couleur noire, surmontés par un ou deux tuyaux de brique d’où la fumée s’échappe en jetant un nuage sur la verdure. Dans ces bâtimens travaille une pompe à vapeur surveillée par un contremaître ; elle va chercher l’eau à trente ou quarante mètres au-dessous de la surface de la terre. Cette eau est fortement imprégnée de sel. Je pus m’en assurer moi-même, car un seau de brine (saumure) m’ayant été offert, j’en bus dans le creux de ma main et la