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fer malléable. Je m’arrêterai à ce dernier ordre de services, et je choisirai pour théâtre des travaux métallurgiques où figure le sel la ville de Sheffield.

Sheffield a été nommé par les Anglais la métropole de l’acier. Quand vous arrivez par le chemin de fer, la ville, qui n’est pour ainsi dire qu’une immense forge, située à l’embouchure des mines de charbon de terre, semble se débattre dans un épais nuage de fumée. Les hommes, les maisons, le ciel, tout est noir. Assise au confluent de deux rivières, — le Sheaf, auquel elle doit son nom, et le Don, qui entre sur le territoire de Sheffield à Wardsend, — cette sombre cité industrielle reçoit en outre plusieurs cours d’eau qui descendent des collines avoisinantes. Ces eaux laborieuses rendent plus d’un genre de service aux manufactures et aux usines ; elles fournissent surtout par leurs chutes aux roues des machines une force motrice immense et économique. Je dois dire qu’elles portent la peine de leur utilité, tant elles sont d’une couleur trouble et boueuse. Il a fallu, dans ces derniers temps, amener à grands frais des sources d’eau potable, et former de vastes réservoirs pour les usages domestiques des habitans. L’industrie a également dépeuplé tout autour de Sheffield les rivières et les ruisseaux. Un meunier me montrait avec tristesse un rapide courant qui faisait tourner la roue de son moulin, et où il se souvenait d’avoir péché des truites dans son enfance. Aujourd’hui ces mêmes eaux travaillent trop pour produire ; la vie s’est retirée d’elles au fur et à mesure que l’industrie y versait des élémens étrangers, ou délétères. Il est d’ailleurs curieux de suivre sur le cours du Sheaf, — lequel mérite encore plus que le Tibre l’épithète de flavus, — une double ligne ininterrompue d’usines et de fabriques de toute sorte, qui se distinguent par des constructions grandioses et bizarres. Je signalerai entre autres le Wheel Tower, vaste et morne bâtiment dont les cheminées sont des tours, et qui, situé,au tournant d’un pont, affecte le style des anciennes forteresses du moyen âge. Là le rugissement des roues et des machines ne se tait ni jour ni nuit, là aussi les chroniques de la vie ouvrière ont eu à enregistrer de sombres drames. Les rivalités entre les différentes unions ou corps d’état, les jalousies entre les travailleurs libres et les travailleurs associés ont plus d’une fois éclaté sous ces voûtes à physionomie sinistre, et ont produit des crimes affligeans. La plupart des rues basses de Sheffield ont un caractère de tristesse, resserrées qu’elles sont entre les maisons d’ouvriers et le mur d’enceinte ou les tuyaux des usines. On y étoufferait de fumée, et je crois qu’on y mourrait d’ennui, si la nature n’avait jeté sur tout cela un air de fête en ouvrant de tous côtés des perspectives souriantes. La ville se trouve entourée par une ceinture