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respirent et qui envoient l’un après l’autre dans l’air bleu leur noire haleine préludent au grand concert des bruits laborieux, au ronflement des chaudières, au cliquetis des roues, aux cris aigres ou rauques des machines qui font la gloire et la prospérité de Sheffield.

Le sel joue un rôle important dans l’industrie ; mais il rend aussi des services signalés à l’agriculture. Répandu en trop grande quantité sur la terre, il détruit la verdure et ne laisse plus dans les endroits où il passe qu’une surface brune et ridée. Cette circonstance était connue des anciens, et dans différens passages des saintes Écritures nous trouvons ces mots, semer du sel, employés comme une métaphore pour figurer la désolation et la stérilité[1]. La même image biblique reparaît de temps en temps dans l’histoire du moyen âge et dans celle du XVIe siècle. En 1596, le roi Jacques VI menaça de raser la ville d’Edimbourg et d’y semer du sel, pour punir la ville de la conduite séditieuse des habitans. Eh bien ! cette même substance, qui, jetée à pleines mains, tarit et dessèche toute végétation, devient au contraire, quand on l’emploie dans une certaine mesure, une source de fécondité. L’idée d’appliquer le sel à l’agriculture fut émise, il y a plus de deux siècles, par Napier, l’inventeur des logarithmes ; mais les essais ne datent que de ces derniers temps, et déjà cet engrais est très recherché en Angleterre. Associé à la suie, il agit comme un stimulant énergique sur la vie végétale. On a observé qu’il convenait surtout aux terrains sablonneux et ferrugineux. Il y a quelques années, lord R. Manners s’avisa d’arroser les plantes de son domaine avec une dissolution d’eau et de sel. L’essai fut heureux, mais il fallait respecter avec soin une stricte limite : une once de sel par gallon d’eau fécondait la racine des herbes, deux onces la détruisaient.

Ce minéral est encore employé sur une grande échelle pour l’engraissement des bestiaux. On calcule qu’un million de tonnes de sel est distribué tous les ans dans la Grande-Bretagne aux moutons et aux bêtes à cornes[2]. Ce sont surtout les Anglo-Américains qui ont étendu la pratique de cette méthode. Dans le Haut-Canada, les bestiaux se répandent au milieu des bois et des pâturages vierges, où ils trouvent une sauvage abondance d’herbe ; mais une fois tous les

  1. Nous avons parlé des plaines de sel qui s’étendent en Afrique et dans le Nouveau-Monde sur des étendues de terre considérables. L’effet de cette croûte saline est d’éteindre toute végétation. Il existe entre Tadmor et l’Idumée une vallée qui se trouve dans les mêmes conditions de stérilité et pour la même cause. On suppose que cette circonstance a inspiré aux écrivains juifs l’idée d’associer le sel à la vengeance humaine et divine.
  2. On emploie volontiers à cet usage la croûte poussiéreuse qui recouvre les monceaux de sel dans les fabriques.