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que nous voulons dire seulement, c’est que, dès cette époque et dans cet ordre de travaux, les premiers symptômes se manifestent de ce goût pour le naturel et pour l’expression exacte qui caractérisera plus tard la manière française dans la représentation des sujets religieux comme ailleurs. Ici sans doute la forme est encore bien incorrecte, l’intention pittoresque trop souvent même incomplète ou erronée : cette incorrection toutefois n’accuse rien de plus que l’inexpérience technique, cette insuffisance de l’exécution ne résulte pas du mysticisme de la pensée. Que l’on examine les vitraux qui décorent les cathédrales de Chartres, du Mans, de Sens et de Bourges, ou l’histoire légendaire de Joseph représentée sur une des fenêtres de la cathédrale de Rouen : pourra-t-on constater là, aussi aisément que dans les œuvres du même genre produites de l’autre côté du Rhin ou des Alpes, un invariable respect pour certaines formules hiératiques, une volonté traditionnelle d’employer le symbole comme moyen d’expression principal ? N’y reconnaîtra-t-on pas plutôt le désir d’emprunter autant que possible à la réalité des inspirations et des modèles ? Nous ne voudrions pas trop insister sur une question qui intéresse l’archéologie aussi directement au moins que l’art proprement dit. Il nous sera permis cependant de faire remarquer dans les monumens que nous avons cités, et dans la plupart de ceux qui appartiennent à la même époque, cette coutume toute naturaliste d’associer aux images des personnages sacrés les portraits des rois ou des seigneurs contemporains, et jusqu’à des scènes familières tirées de la vie des artisans. Enfin, suivant Émeric David, les peintres français n’ont-ils pas essayé les premiers de figurer le Créateur sous une apparence humaine ? Tentative regrettable, il faut le dire, puisqu’elle n’aboutit qu’à rapetisser la toute-puissance divine à notre taille et l’idée de l’infini aux proportions d’un fait, mais tentative conforme à ce besoin, signalé tout à l’heure, de revêtir de vraisemblance même ce qui est de soi nécessairement abstrait.

La peinture sur verre, traitée en France au moyen âge avec une science du procédé plus sûre que dans les autres pays, n’a donc, sous le rapport religieux, qu’une signification un peu étroite, ou, si l’on veut, trop habituellement pittoresque. Même observation, et peut-être mieux fondée encore, à propos des miniatures, d’ailleurs si dignes d’étude, qui ornent les livres de chœur et les missels. À coup sûr, on ne courra pas le risque de se méprendre en admirant tantôt la fermeté, tantôt la délicatesse de dessin et de coloris, qu’attestent tant de précieux morceaux, depuis le Psautier de saint Louis jusqu’aux Heures d’Anne de Bretagne : inestimable série de petits chefs-d’œuvre où l’on peut suivre pendant trois siècles les progrès