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dans l’archaïsme, les peintres français ont compris qu’on pouvait concilier l’invention personnelle avec la tradition, le respect des origines de l’art avec le souvenir de ses progrès, et l’expression de la foi avec la correction de la forme. Ce sont ces tendances sagement éclectiques, c’est ce mélange de stricte orthodoxie et d’équité pittoresque qu’attestent les travaux d’Orsel, de MM. Périn, Roger, et de plusieurs autres artistes qui, depuis 1830, ont eu le double mérite de restaurer en France la peinture religieuse et de remettre en honneur la peinture monumentale. Le talent de M. Flandrin procède de principes analogues, mais il se distingue entre tous, il s’isole de ceux, qui l’ont précédé dans la même carrière, par la noblesse sans contrainte et la grâce sans recherche de ses allures, par une physionomie à la fois savante et naturelle qui commande le respect aussi sûrement qu’elle attire la sympathie.

La première composition sur un sujet religieux où se révèlent les qualités que M. Flandrin allait développer ensuite dans une série d’ouvrages de plus en plus importans, est le Saint Clair guérissant les Aveugles, que possède aujourd’hui la cathédrale de Nantes, et qui fut exposé au salon de 1837. Ce tableau doit donc être considéré comme le début de l’artiste dans un ordre de travaux auquel il s’est depuis lors exclusivement consacré, sauf les cas où son habileté reconnue comme peintre de portrait lui a imposé le devoir de suppléer en quelque façon M. Ingres, et de maintenir après lui les belles traditions d’un art où notre école a de tout temps excellé. Cependant, avant de peindre le Saint Clair, M. Flandrin s’était signalé déjà par quelques essais remarquables, et, contrairement à la coutume, il n’était encore que nouveau-venu parmi les pensionnaires de l’Académie de France à Rome, qu’il n’avait plus à attendre un commencement de réputation à Paris. Lorsque, dès la troisième année de son séjour à la villa Médicis, il envoyait au salon son tableau de Dante offrant des consolations aux âmes des envieux et une étude de berger, ou même lorsqu’il remportait le prix en 1832 à l’École des Beaux-Arts, il y avait quelque temps déjà que ce jeune talent était pressenti par les artistes et par cette partie du public que préoccupait l’issue de la lutte engagée dans le domaine des arts et des lettres vers la fin de la restauration. On savait que M. Flandrin était l’élève préféré de M. Ingres, qu’aucun de ses condisciples n’acceptait plus pieusement et ne mettait plus assidûment en pratique les doctrines du maître. Bien que cette extrême docilité fût plutôt une garantie actuelle de bonne éducation qu’une promesse très significative des succès avenir, elle suffisait cependant pour éveiller l’attention, pour encourager les espérances, même en dehors de l’atelier.