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d’après lui, un des plus anciens, quoiqu’il ne le soit pas tout à fait autant que celui d’Épicure : c’était celui de la plupart des philosophes qui, avant comme après le siècle d’Auguste, se nommaient éclectiques, et qui ont reçu le nom de néo-platoniciens, parce qu’ils prétendaient suivre principalement la doctrine de Platon et de Pythagore. On peut craindre que ce système ne se confonde quelquefois avec celui de l’amour de soi, en ce sens que l’intérêt personnel peut devenir le mobile secret de nos sympathies et de nos antipathies. L’ingénieux moraliste signale le danger, et y échappe par un procédé de méthode. En examinant le titre de son livre, on voit qu’il fait passer les jugemens que nous portons sur les actions d’autrui avant ceux que nous portons sur les nôtres. Pour que la sympathie soit un juge certain, il faut qu’elle émane d’un spectateur impartial, et nous ne nous jugeons bien nous-mêmes qu’en étendant à nos propres actions les jugemens que nous portons sur autrui. Cette distinction peut paraître délicate, elle ne l’est pas plus que beaucoup d’autres. Smith a voulu se séparer de la doctrine exclusive de l’amour de soi, professée de son temps en France et même en Écosse ; voilà le fait important.

Quant au système opposé, il le caractérise avec une bonhomie un peu malicieuse dans celui de ses chapitres qui a pour titre : Dans quels cas le sentiment du devoir doit être le seul principe de notre conduite, et dans quels cas d’autres motifs doivent s’y joindre pour la diriger ? « La religion, y est-il dit, nous fournit de si grands motifs de pratiquer la vertu, et un frein si puissant pour nous détourner du vice, qu’on a été souvent porté à regarder les principes religieux comme les seuls principes louables de nos actions. Nous ne devons pas, dit-on, récompenser par reconnaissance, punir par ressentiment, protéger la faiblesse de nos enfans, ni soigner la vieillesse de nos parens, par affection naturelle. Tous nos attachemens pour des objets particuliers doivent s’anéantir dans notre cœur et y être effacés par un sentiment unique, par l’amour de la Divinité, par le désir de lui être agréable et de diriger notre conduite d’après ses lois. Nous ne devons point faire de bien parce qu’on nous en a fait, être charitables par humanité, aimer notre patrie pour elle-même, ni être justes et généreux par amour des hommes. Notre unique but dans l’accomplissement de tous ces devoirs doit être d’obéir à ce que Dieu nous a commandé. Je n’examinerai point une telle opinion ; je remarquerai seulement qu’on n’aurait pas dû s’attendre à la voir adoptée par les disciples d’une religion dont le premier précepte est d’aimer Dieu de toute notre âme, mais dont le second est d’aimer notre prochain comme nous-mêmes. »

Tel est en effet le fond de la philosophie morale de l’école écossaise ;