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L’économie politique n’est en effet qu’une application de l’amour de l’humanité ; pendant que la morale de la sympathie nous pousse à chercher le bien de nos semblables dans l’ordre moral, l’économie politique nous apprend à le chercher dans l’ordre matériel, et le lien entre ces deux ordres d’idées est la théorie de la justice et du droit, qui participe à la fois de l’un et de l’autre. Le cours d’Hutcheson comprenait dans ses subdivisions des rudimens d’économie politique en même temps que la morale et la politique proprement dite. À son tour, Smith avait conçu le projet d’écrire trois grands traités qui ne devaient former qu’un faisceau, un traité de philosophie morale, un traité d’économie politique, un traité de législation. Le premier et le second existent, mais il n’a pas eu le temps de finir le troisième, qui devait avoir pour titre Théorie de la Jurisprudence, et il a ordonné avant de mourir qu’on en détruisît les fragmens commencés, perte profondément regrettable, qui aura sans aucun doute retarde les perfectionnemens des lois écrites dans le monde entier. Tel est l’accord intime qui, dans ce grand esprit, unissait toutes les branches des sciences morales et politiques : elles ont dû se séparer pour que chacune pût se constituer à part, mais elles ne doivent jamais perdre de vue leur commune origine.

Adam Smith a laissé encore quelques essais philosophiques qui montrent l’étendue et la variété de ses études, une dissertation sur l’Origine des Langues, une Histoire de l’Astronomie, de la Physique et de la Métaphysique des Anciens, des considérations sur les Arts d’imitation ; mais tout pâlit devant ses Recherches sur la Nature et les Causes de la Richesse des Nations. Il avait quitté sa chaire en 1763, et après deux voyages en France, où il accompagna le jeune duc de Buccleugh[1], il s’était enfermé pendant dix ans à Kirkcaldy, auprès de sa mère, pour composer cet immortel travail. Parmi les écrits dont il s’est inspiré, il faut placer au premier rang, avec ceux des économistes français, neuf petits essais publiés en 1752 par son ami et compatriote David Hume sur le commerce, le luxe, l’intérêt de l’argent, les impôts, le crédit public, la balance du commerce et la population. La réputation de Hume, soit comme philosophe, soit comme historien, a nui à ses travaux comme économiste ; il est certain cependant que ses essais contiennent une foule d’aperçus aussi justes que nouveaux. On peut citer dans le nombre la réfutation de cette erreur généralement répandue, que,

  1. Dans le premier voyage, Smith et son élève ne firent que passer par Paris pour se rendre à Toulouse, où ils restèrent plus d’un an. Pourquoi cette préférence pour Toulouse ? Est-ce à cause du climat ? Est-ce à cause de la réputation qu’avait alors dans toute l’Europe l’administration des états du Languedoc et de la lutte très vive qui venait de s’engager entre le parlement et le gouverneur pour les libertés de la province ?