Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 24.djvu/91

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’objet à l’étranger, c’est certainement M. E. Renan. Mieux que personne, il a prouvé que l’esprit français, bien loin d’être inconciliable avec les études critiques et théologiques, dans le sens supérieur de ce dernier mot, est doué au contraire d’une merveilleuse aptitude pour les poursuivre et en populariser les résultats, pourvu qu’il veuille sérieusement s’en donner la peine. La condition indispensable de la réussite est, nous l’avons dit, le labor improbus, et sur les sujets religieux nous sommes devenus paresseux ; mais comme on est récompensé de ses peines lorsqu’ayant franchi les préliminaires et les redoutables épreuves de l’initiation aux mystères de l’antiquité religieuse, on se trouve en présence du Dieu dont on cherchait la face, et cela, non plus dans les ténèbres d’une crypte souterraine, mais en pleine lumière et sous l’inspiration directe de sa parole révélatrice ! M. E. Renan a légitimé parmi nous la renaissance de la critique religieuse, qui naquit au XVIIe siècle sur le sol français, et dont les fondemens à peine jetés furent si tôt abandonnés. La souplesse du toucher, la sûreté du coup d’œil, ces qualités qui font l’artiste en critique et qui sont si nécessaires à une science qui est aussi un art, ces qualités qui se développent par l’exercice, mais qu’à parler rigoureusement on n’acquiert pas, il les possède à un degré supérieur. J’ai vu chez nos voisins d’outre-Rhin de vieux critiques endurcis au métier, qui toute leur vie avaient cultivé la science pour la science, qui avaient consacré à l’érudition leurs jours et leurs nuits, avec cette persévérance de bénédictin que rien n’effraie, je les ai vus lire et relire avec un enthousiasme juvénile l’Histoire comparée des langues sémitiques, les Études d’Histoire religieuse, le traité sur l’Origine du langage, et surtout le Livre de Job, sur lequel nous désirons appeler particulièrement l’attention. Au milieu de la réaction piétiste qui naguère encore menaçait d’étouffer en Allemagne la précieuse indépendance que trois siècles de réformation semblaient avoir garantie pour jamais, c’était pour eux une joie sans pareille d’entendre cette voix jeune et ferme qui, dans ce beau langage français si admiré dans leur jeunesse, reprenait le chant interrompu des mélodies antiques, et mariait dans une suave harmonie les accens de la poésie à ceux de l’histoire.

Deux mots ont été employés pour exprimer la direction de M. Renan : critique et rationalisme. Sans les accepter d’une manière absolue, il est un côté par lequel l’homme vraiment religieux doit en saluer l’avènement avec joie. Et d’abord, en ce qui concerne la critique, c’est sans contredit l’absence de cette qualité, qui s’est le plus opposée parmi nous aux progrès des sciences historiques, principalement en matière religieuse. La critique des monumens littéraires et religieux de l’antiquité est l’instrument nécessaire de la science