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d’acquérir la réputation d’un homme entendu dans les affaires, mais d’obtenir beaucoup d’influence dans une classe de gens à qui leurs richesses donnent une grande importance. Si au contraire il combat ces propositions, ni la probité la mieux reconnue, ni le rang le plus éminent, ni les services les plus distingués, ne le mettront à l’abri des insultes et même des dangers que suscitera contre lui la cupidité trompée de ces insolens monopoleurs. » Ce passage est le seul où Smith se laisse emporter par la colère ; s’il pouvait renaître aujourd’hui, il verrait que ce qui lui paraissait impossible en 1776 s’est pleinement réalisé de nos jours dans son pays. Les intérêts généraux, si longtemps inertes, ont fini par l’emporter sur les coalitions intraitables qui l’effrayaient jusque dans sa solitude, et le développement prodigieux de la richesse nationale a couronné sa mémoire plus qu’il n’avait osé lui-même l’espérer.

Il exprime les mêmes doutes au sujet du système colonial, une des conséquences du système mercantile les plus chères de son temps à l’orgueil britannique. Après avoir démontré que les monopoles sont tout aussi nuisibles au commerce avec les colonies qu’avec les autres peuples, il ajoute : « Proposer à la Grande-Bretagne d’abandonner volontairement son autorité sur les colonies et de les laisser libres de se gouverner comme elles l’entendront, ce serait proposer une mesure qui n’a jamais été adoptée et ne le sera probablement jamais par aucune nation du monde. Jamais nation n’a volontairement abandonné l’empire d’une province, quelque embarras qu’elle trouve à la gouverner, quelque faible revenu qu’elle en retire. Si de tels sacrifices sont bien souvent conformes à ses intérêts, ils sont toujours mortifians pour son orgueil, et ce qui est encore d’une plus grande conséquence, ils sont contraires à l’intérêt privé de ceux qui gouvernent, et qui se verraient par là privés de places honorables et lucratives. À peine si le plus visionnaire des hommes serait capable de proposer une pareille mesure avec la moindre espérance de la voir adopter. Si cependant elle était adoptée, la Grande-Bretagne se trouverait immédiatement affranchie, de la charge annuelle de l’entretien des colonies, et elle ferait avec elles un commerce libre plus avantageux pour la mère-patrie que le monopole dont elle jouit. » Ces paroles s’écrivaient au moment même où commençait la lutte de l’Angleterre contre ses colonies soulevées de l’Amérique du Nord. L’Angleterre n’a pas voulu comprendre le conseil que lui donnait Smith en termes assez clairs ; elle en a été punie par dix années d’une guerre désastreuse qui a failli compromettre son existence comme nation. Depuis l’émancipation des États-Unis, la prédiction sur la supériorité du commerce libre