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être dépensé au profit de tous ; sinon, il devient un instrument puissant de spoliation des faibles par les forts, il détourne les capitaux des emplois utiles qu’ils rechercheraient d’eux-mêmes, pour les perdre dans les emplois improductifs. Il ne reste donc plus à Smith, pour avoir terminé son œuvre, que de déterminer dans quels cas les dépenses publiques sont légitimes, et dans quels cas elles cessent de l’être. Le cinquième et dernier livre aborde ce sujet, qui a toujours été la pierre d’achoppement entre les économistes et les gouvernemens. Ce livre se divise en trois parties : 1o quelles sont les dépenses qui doivent être à la charge de l’état ? 2o quels sont les meilleurs systèmes d’impôt pour y subvenir ? 3o que faut-il penser des dettes publiques ?

Le philosophe, écossais ne reconnaît, à vrai dire, que deux sortes de dépenses nécessairement confiées à l’état : celles qu’exige la défense commune, celles qui servent à soutenir la dignité du souverain. Avec un pareil principe, l’état perdrait en France les trois quarts de ses attributions ; mais il faut se rappeler que Smith écrivait en Écosse, c’est-à-dire dans un pays où les attributions de l’état sont restées à peu près telles qu’il les a définies. S’il avait vécu en France, où d’autres habitudes ont prévalu, il eût probablement, avec son esprit pratique et circonspect, un peu modifié ses conclusions. Ce qui permet de le croire, c’est qu’il n’exclut pas absolument l’intervention de l’état dans les dépenses qu’exigent l’administration de la justice, le culte, l’instruction, les travaux publics. « Ces diverses dépenses intéressant, dit-il à plusieurs reprises, l’avantage commun de la société, il n’y aurait rien de déraisonnable à les défrayer en tout ou en partie au moyen d’une contribution générale. » Mais à coup sûr, en cédant sur quelques détails, il aurait maintenu son principe, surtout s’il avait pu voir les progrès de cette centralisation effrénée qui tend de plus en plus à tout absorber chez nous.

Le chapitre sur l’organisation de la défense commune est tout entier consacré à démontrer la supériorité des armées permanentes sur les milices. Toujours imbu de son grand principe de la division du travail, Adam Smith s’attache à prouver que le métier de soldat, comme tous les métiers possibles, ne peut être bien fait que par ceux qui s’y adonnent spécialement. Il va même jusqu’à chercher la proportion acceptable entre le nombre des soldats et le chiffre total de la population, et il accorde le centième. Sur cette base, la France, qui a 36 millions d’habitans, aurait une armée permanente de 360,000 hommes. On voit que ces idées n’ont rien de bien radical, et qu’elles peuvent être acceptées sans beaucoup de difficulté par les militaires eux-mêmes. S’il y a quelque chose à redire,