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et que la nation n’y perd rien, Adam Smith prend aussi la peine de la réfuter en quelques mots. « Quand même, dit-il, la totalité de la dette appartiendrait à des nationaux, ce qui n’arrive pas toujours, ce ne serait pas moins un mal des plus pernicieux. Le propriétaire de terre, pour conserver son revenu, est intéressé à tenir son bien en bon état par toute sorte de réparations et d’améliorations dispendieuses. Une excessive contribution foncière, destinée à payer les créanciers de l’état, peut retrancher de ce revenu une part tellement forte qu’il ne puisse plus subvenir à ces améliorations. Il en est de même quand la multiplicité des impôts enlève aux marchands et aux manufacturiers une partie notable de leur capital. Un créancier de l’état a certainement un intérêt vague et général à la prospérité de l’agriculture, des manufactures et du commerce, puisque c’est ce qui sert à lui payer l’annuité qui lui est due ; mais il n’a directement aucun intérêt à ce que telle portion de terre soit en bonne valeur ou telle portion de capital avantageusement exploitée. Il ne connaît aucune portion particulière de terre ou de capital, il n’en a aucune sous sa direction immédiate, et il n’en est pas une qui ne puisse être totalement anéantie sans qu’il s’en doute. »

Du reste, Adam Smith ne se dissimule pas ce que ce système a de commode, dans un pays riche, pour les gouvernemens et pour les capitalistes, aux dépens du public. « Les gouvernemens, dit Smith, se montrent très disposés, dans la plupart des occasions, à emprunter à des conditions extrêmement avantageuses pour les prêteurs. L’engagement que l’état prend envers le créancier primitif est de nature à pouvoir se transmettre de main en main, et quand le public a confiance dans la justice de l’état, on vend d’ordinaire cet engagement sur la place à un prix supérieur à celui qui a été payé dans l’origine. Le capitaliste se fait ainsi un bénéfice en prêtant au gouvernement, et au lieu de diminuer ses capitaux, c’est pour lui un moyen de les augmenter. Il regarde donc comme une grâce d’être admis pour une portion dans la souscription pour un nouvel emprunt. De là un désir général, dans un état riche, de prêter au gouvernement. De son côté, le gouvernement d’un tel état est très porté à se reposer sur cette bonne volonté des sujets de lui prêter leur argent, et il se dispense volontiers du devoir d’épargner. » Ceci explique parfaitement pourquoi les peuples riches sont ceux qui ont les plus fortes dettes ; ils ne sont pas riches parce qu’ils sont endettés, ils sont endettés parce qu’ils sont riches. La richesse vient d’ailleurs, elle vient du travail et de la sécurité ; plus elle se produit en abondance, plus on est tenté d’en abuser. Il ne dépend pas de tous les gouvernemens d’emprunter autant que le gouvernement anglais par exemple : ce n’est pas la bonne volonté qui manque, ce sont les moyens.