Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 24.djvu/938

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’étage en étage, se succède, avec le refroidissement graduel de la température, la série entière des climats européens. Dans la Kabylie du Jurjura, les botanistes ont reconnu la Normandie ; en gravissant les flancs du Miltzin, ils trouveront l’Ecosse, la Norvège, enfin les lichens et les glaces éternelles des régions circompolaires, Grâce aux cimes neigeuses des montagnes, aux nombreuses rivières qui en découlent, à l’humidité que renouvellent les courans aériens rafraîchis par deux mers, le Maroc peut être défini une Algérie sans sécheresse, ce qui veut dire une des plus fertiles terres et un des plus délicieux climats du monde.

Sur ce théâtre admirablement doté par la nature sont clair-semées des populations en qui s’allient de même des caractères fort divers. Ces races se classent au Maroc, comme en Algérie et en Tunisie, d’une façon superficielle suivant leur résidence, d’une façon profonde suivant leur origine. Habitans du Tell ou du Sahara, ils s’appellent hadars, citadins, quand ils mènent une vie sédentaire, bédouins, quand ils promènent leurs tentes à travers les campagnes.

Les hadars, adonnés à l’industrie, au commerce, à la vie oisive, se groupent dans les villes. Manquant de chevaux et logés dans des maisons, ils ne peuvent fuir l’oppression : ils sont les soumis, les gouvernés ; mais aussi leurs facultés intellectuelles sont mieux développées, les plus habiles d’entre eux deviennent les agens, les ministres même des souverains. Composés des contingens apportés par l’immigration dans les villes, principalement dans celles du littoral, pendant une longue suite de siècles, les hadars sont une classe fortement mélangée, comme la langue franque dont ils font usage. Parmi eux dominent les Maures, avec lesquels on les identifie souvent. Dans l’antiquité, les Maures étaient les habitans indigènes, dont Pline et Strabon constatent la présence aux lieux mêmes où se trouvent encore les Maures du Rif, qui ont très justement gardé leur nom primitif ; mais à la longue le sens de ce nom s’est altéré comme la race elle-même, et aujourd’hui la population mauresque se compose d’individus aux origines confuses et multiples, à l’esprit intelligent et délié, au caractère indolent, toujours enclins au mensonge, parce qu’ils sont toujours en danger d’être exploités. Au Maroc, cet élément s’est recruté, en proportion notable, parmi les Andaloux chassés d’Espagne aux XVe et XVIe siècles.

Tout autres sont les Bédouins, les hommes de la campagne. Pasteurs, agriculteurs, quelquefois industriels de hameaux ou de villages, la plupart possèdent des chevaux ou des chameaux, tour à tour animaux de travail et de combat : épars dans les plaines aux horizons infinis ou retranchés sur les monts escarpés où les ont refoulés des invasions successives, ils sont les insoumis, les hommes