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à la même importance. Les premiers ressemblent plutôt à des jongleurs et à des charlatans de place publique qu’à des religieux, et les seconds prêchent un radicalisme trop puritain pour recruter beaucoup de sectateurs. À côté de ces ordres ou confréries, une multitude de marabouts, de santons, libres de tout engagement, reçoivent les dons de la piété populaire, et l’entretiennent par des pratiques où les étrangers ne voient que fanatisme, superstition et crédulité, mais que les fidèles qualifient d’édifiantes dévotions.

Mieux encore que ces nombreux et divers témoignages, le pèlerinage à La Mecque montre combien est puissant dans les sociétés musulmanes ce ressort religieux, que ne reconnaissent pas volontiers nos scrupules de chrétiens ou nos dédains de philosophes. Douze siècles se sont écoulés depuis la mort du prophète, et tous les ans, dociles à sa parole, cinquante ou cent mille pèlerins, bravant des périls et des fatigues souvent mortelles, viennent retremper leur foi autour de la Kaaba de la ville sainte ! Le Maroc est séparé de l’Arabie par toute l’épaisseur de l’Afrique, et néanmoins Maroc, Fez, Méquinez, Tafilet, sont les sources principales qui alimentent la grande caravane des Maugrebins. Détournée par nos guerres d’Afrique de son cours naturel le long de l’Algérie méridionale, la caravane s’est démembrée : un courant s’est jeté sur le littoral, où des navires anglais ont emporté vers Alexandrie les pèlerins ; un autre courant s’est enfoncé dans les oasis et les sables du Sahara, pour aller rejoindre sa route habituelle dans les régences de Tunis et de Tripoli, et de Là gagner l’Égypte. Quoique morcelée, cette grande caravane subsiste, entretient le pèlerinage, ravive la foi dans son primitif foyer, et ramène au Maghreb des croyans plus vivement pénétrés de la puissance de l’islamisme et de la respectueuse obéissance qu’ils doivent à leur père spirituel, le guide de leur conscience, le suprême sultan de Fez !

Le titre de pontife religieux que lui reconnaissent tous ses peuples est celui auquel le sultan du Maroc, attache avec raison le plus de prix ; son amour-propre tient à honneur de traiter d’égal à égal avec le khalife de l’Orient, le sultan de Constantinople, comme avec le grand-chérif de La Mecque. Aussi le comble de son ambition est-il que, dans ses rapports avec l’Europe, cette égalité soit reconnue par la diplomatie. Faute d’avoir pénétré et compris ce sentiment, les ambassadeurs européens ont plus d’une fois échoué dans des négociations qui auraient réussi par une habile et inoffensive satisfaction donnée à l’orgueil marocain.

Après la force armée, après la religion, la polygamie est le troisième ressort du gouvernement impérial de Fez. Lorsqu’on parle en Europe d’un sérail de sept ou huit cents femmes, l’esprit se reporte aux contes orientaux ou aux légendes bibliques, et ne croit pas un