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mais qu’ils prennent garde de paraître trop obstinément redouter pour la liberté du détroit les empiétemens de l’Espagne : personne ne prendrait au sérieux de tels scrupules sur les lèvres des maîtres de Gibraltar.

L’ultimatum adressé par le cabinet de Madrid au commissaire marocain des affaires étrangères, Sidi Mohammed-Khetib, se résumait en un petit nombre de conditions. Le pacha ou gouverneur de la province remettrait lui-même les armes d’Espagne à la place où elles étaient avant d’être renversées, et les ferait saluer par ses soldats ; les troupes du Maroc infligeraient aux coupables, sous les murs de Ceuta, la peine qu’ils avaient encourue ; le gouvernement marocain nommerait deux ingénieurs qui, conjointement avec deux ingénieurs espagnols, détermineraient les points les plus convenables pour modifier autour de Ceuta les limites établies par une convention antérieure. M. Collantes a exposé, dans une instruction aux agens diplomatiques de l’Espagne, quelle suite d’incidens avait empêché ces propositions d’aboutir, et de son côté le ministre maure a opposé un récit différent, qui rejette tous les torts sur ses adversaires, accusés d’avoir voulu à tout prix la guerre. Quoi qu’il en soit, nous nous étonnons que l’Espagne ait adressé des demandes si modérées qu’elles peuvent paraître imprévoyantes de l’avenir, et d’autre part que le représentant de l’empereur, muni de pleins pouvoirs pour traiter, ait hésité à les accepter. En ajournant une réponse pour en référer à son maître, il a laissé échoir le délai fatal et fourni à la déclaration de guerre un prétexte plausible. On sait que le général O’Donnell, comme ministre de la guerre et commandant en chef de l’expédition, a concentré sur les côtes du Maroc toutes les forces dont il pouvait disposer : quarante mille hommes de troupes, une flotte à voiles de plus de trois cents canons, une quinzaine de bateaux à vapeur pour transports rapides, une flottille de commerce, des navires auxiliaires frétés dans les ports voisins.

On ne se propose pas ici de raconter ou d’apprécier des opérations dont le résultat n’appartient pas encore à l’histoire. Il est deux points qui doivent cependant aujourd’hui préoccuper utilement les publicistes : les leçons fournies par l’expérience sur les conditions d’une campagne dans le Maroc, les notions qu’on possède sur le territoire marocain et sur les voies diverses qu’il peut ouvrir à l’attaque.

Sur la Méditerranée, la possession de Ceuta donne à l’armée envahissante un précieux avantage que ne possédait pas en 1830 l’armée française en vue de Sidi-Ferruch : une plage de débarquement à l’abri des coups de l’ennemi. C’est par là en effet que les troupes transportées sur l’escadre de la reine ont promptement atteint le rivage. Déjà de sanglans combats ont eu lieu, où la bravoure a été égale de part et d’autre, et les pertes graves ; mais, comme on