Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 24.djvu/986

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jour. Les deux jeunes époux roucoulent comme savent roucouler les amoureux de M. Dumas, toujours logiciens, raisonneurs et disputeurs à outrance. Tout à coup une idée bizarre traverse le cerveau de la jeune femme ; elle veut que son mari lui parle de ses amours passés, et lorsque ses vœux téméraires sont exaucés, elle lui fait une scène de bouderie. André cherche à la consoler, mais au moment où il approche ses lèvres de la joue de sa femme, il rencontre la tête de son père, qui vient de le devancer dans un fort agréable projet. Décidément ce père prodigue est un personnage par trop indiscret. Il usurpe auprès de sa bru la place de son fils ; c’est lui qui la conduit à la promenade, au bal, au concert. Il en fait tant que la malignité publique va répétant que ce beau-père est encore amoureux de sa bru, et qu’un soupçon d’inceste vient, comme une vapeur infecte, s’étendre sur son honneur. D’où donc cette calomnie peut-elle sortir ? De chez Albertine peut-être, car c’est le parasite et l’entremetteur dévoué de cette créature qui vient le premier apporter au comte cette nouvelle. Le comte se révolte. Hélas ! il est bien tard. (Pourvu que son fils aussi ne se défie pas de lui et n’ait pas mal interprété sa conduite ! Pour le mettre à l’épreuve, il feint un voyage subit. « Pars, » lui répond tranquillement son fils, qui espère que cette distraction arrêtera pour un temps au moins ses prodigalités toujours renaissantes. M. de La Rivonnière sort, persuadé que son fils partage le soupçon général, et pour se venger il commet une nouvelle sottise : il court chez Albertine.

Au quatrième acte, André s’emploie à arracher son père aux griffes de cette créature, qui, ayant trouvé, comme le lion, une proie à dévorer, refuse de la lâcher. Ici se place la scène capitale de l’ouvrage. Elle est belle, quoique un peu commune, et qu’elle laisse dans l’esprit une impression équivoque. André, après avoir épuisé les prières, a recours, comme dernière ressource, à la dureté. Il rappelle à son père que ce n’est pas lui qu’il ruine, et que ce n’est pas sous son toit qu’il abrite Mlle Albertine. Le sentiment de la paternité outragée se réveille chez le comte : il éclate, pendant que son fils baisse la tête sous l’humiliation et le repentir. La scène est dramatique, et cependant elle ne peut nous intéresser à la colère du comte, car si un père ne doit jamais avoir tort aux yeux de son fils, il peut avoir tort aux yeux du public, et le comte est plus coupable qu’il est permis de l’être. À peine André est-il sorti qu’une occasion se présente au comte de réparer sa faute ; il accepte en son nom un duel que venait proposer à son fils le mari de la dame noire, qui a découvert les intrigues de sa coupable moitié. Ce duel, dont le mari trompé sort blessé et mécontent, amène la réconciliation du père et du fils. Mlle Albertine est congédiée, et le comte épousera Mme Godefroid, qu’il serait cruel de faire attendre plus longtemps.