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jardinier de Nîmes, François Traucat. Dès 1554, Traucat possédait une pépinière. En 1606, il publiait un panégyrique du mûrier et se glorifiait d’avoir répandu plus de 4 millions de plants de cet arbre dans le Dauphiné, la Provence et le Languedoc. En même temps, il proposait à Henri IV d’introduire 20 millions de mûriers dans les quatre généralités d’Orléans, de Tours, de Paris et de Lyon. Henri IV n’avait pas attendu ce moment pour comprendre tout ce que l’industrie de la soie pouvait ajouter à la prospérité du royaume. Sully, moins clairvoyant, ou peut-être mû par quelqu’un de ces instincts de jalousie qui se glissent jusque dans le cœur des plus grands ministres, s’était vainement opposé à la création de plantations nouvelles. Olivier de Serres, le père de l’agriculture, Barthélémy de Laffemas, valet de chambre du roi et contrôleur général du commerce, l’avaient emporté sur le rigide favori, qui proscrivait la sériciculture sous prétexte qu’elle n’était bonne qu’à favoriser le luxe et à corrompre les mœurs. Par une lettre datée du 27 septembre 1600, Henri IV prescrit à Olivier de Serres de s’entendre avec le sieur de Bordeaux, surintendant général des jardins de France, pour faire transporter à Paris plusieurs milliers de plants de mûriers. Cet ordre fut exécuté, et l’année suivante le jardin des Tuileries reçut de quinze à vingt mille pieds d’arbre qui réussirent parfaitement. Une magnanerie et une filature de soie y furent en outre élevées et fonctionnèrent pendant nombre d’années. C’est à la suite de cette grande expérience, et peut-être à l’occasion des offres de Traucat, qu’eurent lieu les envois faits dans presque toute la France de mûriers dont plusieurs existent encore et sont connus sous le nom de Sullys, car ici, comme en bien d’autres occasions, la reconnaissance publique s’est égarée, et a fait honneur du bienfait précisément à celui qui l’avait combattu de toute sa force.

Colbert partagea toutes les idées d’Olivier de Serres et de Laffemas ; il les exagéra même d’abord en voulant contraindre tous les propriétaires à planter un nombre de mûriers correspondant à l’étendue de leurs terres. Le résultat de cette exigence fut exactement le contraire de celui qu’on se proposait. Mieux inspiré, Colbert se borna plus tard à promettre une prime de vingt-quatre sols pour chaque nouveau pied de mûrier, la prime n’étant d’ailleurs acquise que trois ans après la plantation. L’amour du gain fit plus que la crainte, et grâce à cette dernière mesure, mûriers et vers à soie se répandirent de toutes parts en France (1662-1671). Il est peu de nos départemens du midi, du centre et de l’est, où l’on ne rencontre encore un grand nombre d’arbres datant de cette époque, et que nous aimerions à entendre appeler des Colberts.

J’hésite quelque peu à placer à la suite de ces noms si grands