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le fond du tableau tracé par la plupart des auteurs qui, dès le principe, avaient essayé de faire connaître la maladie ; mais à cela près ils ne s’accordaient guère. Les descriptions tracées dans les lieux les plus voisins ne concordaient souvent pas entre elles et variaient d’une année à l’autre. Chaque jour amenait quelque détail, ou complètement nouveau, ou en opposition formelle avec les faits regardés comme les plus certains. En même temps se produisaient les doctrines les plus diverses sur la nature du mal, sur les causes qui lui avaient donné naissance, sur les moyens de le combattre. L’Académie des Sciences, interpellée de toutes parts, répondit d’abord par deux rapports, par un questionnaire, émanés de la commission des vers à soie[1] ; puis elle se décida à envoyer sur les lieux un botaniste, un chimiste, un naturaliste, jadis médecin. Voilà comment MM. Decaisne, Péligot et moi-même, reçûmes la difficile mission d’étudier le fléau qui menace sérieusement une de nos plus belles industries agricoles et compromet l’existence de populations entières.


II

Le mal qui ravage nos chambrées vient-il de l’insecte ou de l’arbre ? Le ver à soie est-il atteint d’une maladie propre, ou bien est-il empoisonné par la feuille qui devrait le nourrir ? Bien des gens ont embrassé d’abord cette dernière opinion, et il est aisé de comprendre comment ils ont été entraînés à l’adopter. Depuis quelques années, le règne végétal est frappé de diverses manières. La pomme de terre, la vigne, les arbres fruitiers, tour à tour et souvent à la fois, ont payé un rude tribut à bien des causes de destruction. Il est vrai que ces maladies végétales ne se ressemblent guère : on ne saurait établir le moindre rapprochement entre l’altération profonde qui atteint les tubercules, l’oïdium qui fait éclater les grains du raisin, le puceron lanigère qui épuise le tronc des pêchers, et le champignon qui attaque les racines de l’oranger d’Hyères ou celles du pommier de Normandie. Le vulgaire toutefois ne remarque pas ces différences : il ne peut comprendre qu’il n’y a là qu’une coïncidence. Dominé par le résultat final, il croit à une sorte d’infection générale, et en voyant les vers à soie mourir d’une affection autre que celles qui frappaient habituellement ses regards, il n’a point hésité à admettre la maladie des mûriers et de la feuille. Apprécier ce que cette opinion pouvait avoir de fondé était une des questions que les commissaires de l’Académie des Sciences étaient le plus spécialement chargés d’éclaircir.

  1. Comptes-rendus de l’Académie des Sciences, 1857 et 1858.