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a disparu. Autour de ce premier noyau règne une auréole jaunâtre annonçant l’invasion des tissus voisins. En effet la tache s’étend peu à peu, envahit et désorganise tout ce qui l’entoure jusqu’au moment où les progrès sont arrêtés soit par la mort de l’insecte, soit par une mue. À chacune de ces crises, le ver malade dépose ses tégumens tachés et reparaît avec une apparence de santé qui en a souvent imposé aux observateurs ; mais au bout de deux ou trois jours la nouvelle peau est atteinte comme la première, et ce fait suffirait à lui seul pour prouver que la tache n’est pas un phénomène local et tient à une cause plus profonde, qu’elle est en réalité le signe d’une infection générale. Celui qui conserverait le moindre doute à ce sujet n’a d’ailleurs qu’à ouvrir quelques cadavres. Partout il retrouvera les phénomènes que je viens d’indiquer, partout il verra d’abord apparaître les points jaunâtres, premiers signes du mal ; il les verra se foncer et passer au brun. En explorant tour à tour des taches de plus en plus avancées, il en suivra de l’œil les progrès et les verra transformer de la même manière tous les élémens de l’organisme. Lames membraneuses, fibres musculaires, globules graisseux, disparaissent et se fondent en petits amas noirâtres, disséminés parfois en nombre incalculable dans le corps entier. On dirait alors que tous les organes, au dedans comme au dehors, sont saupoudrés de poivre noir. Chez le papillon surtout, et plus particulièrement autour des orifices de l’intestin et de l’ovaire, les lobules des trachées et du tissu graisseux sont durcis, hypertrophiés, et présentent l’aspect de masses cancéreuses. En un mot, quelque difficile qu’il soit de comparer les altérations pathologiques d’un insecte à celles d’un animal vertébré, le médecin peut croire avoir sous les yeux une affection gangreneuse viciant l’organisme jusque dans ses plus intimes profondeurs, tout en produisant parfois des phénomènes que l’on rapporte d’ordinaire au rachitisme. Le symptôme caractéristique de cette affection est la tache que je viens de décrire, et voilà pourquoi, ayant à la désigner par un nom nouveau, je l’ai baptisée de celui de pébrine, qui, en langage du midi, signifie maladie du poivre.

La marche de cette maladie est d’ailleurs lente, et sa terminaison non moins exceptionnelle que ses autres symptômes. Le ver pébriné languit et s’éteint insensiblement. Il meurt pour ainsi dire peu à peu ; son agonie est tranquille, mais très longue. J’en ai vu résister pendant deux ou trois jours ; j’en ai vu qui, pinces ou piqués de mille manières, ne faisaient plus le moindre mouvement et ne trahissaient un reste de vie que lorsque je les plongeais dans l’alcool. Enfin, une fois morts, ces vers, au lieu de se décomposer, durcissent de plus en plus et se momifient. Ils ressemblent alors assez à des muscardins que n’auraient pas envahis les efflorescences caractéristiques.