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jamais. De même que l’architecture dorique n’a élevé aucun édifice qui ne fût surpassé par les Propylées et le Parthénon, monumens d’ordre dorique bâtis par les Athéniens, de même le style des sculpteurs doriens fut imité, conquis, effacé par Phidias. Avant lui, on a pu dire le style attique ou le style éginétique, puisque l’école d’Egine a été l’expression la plus glorieuse des traditions doriennes ; avec lui disparaissent les tendances locales et l’opposition des qualités que les deux races semblaient s’être partagées. Dès lors il n’y a plus qu’un grand souffle qui court sur toute l’étendue du monde grec, et l’influence du génie individuel, qu’il s’appelle Phidias, Praxitèle ou Lysippe, ne connaît plus de frontières. Les écoles ne sont plus contemporaines, elles se succèdent ; leur diversité s’explique par la différence des époques et la mobilité providentielle de l’esprit humain. Ce fut dans la vieille école attique une révolution complète, quoiqu’elle ne fût point jetée hors de sa voie idéale et ne fût point ramenée au réalisme ; mais il y a deux sortes d’idéal, celui des siècles primitifs et celui des siècles accomplis. L’art qui crée sans imiter la nature et qui repose sur la convention est un art idéal, l’art égyptien par exemple. L’art qui connaît admirablement la nature, qui la dépasse, qui poursuit une beauté plus parfaite et en même temps plus simple, qui part du vrai pour atteindre une vérité plus sublime, cet art est, à un bien autre titre, un art idéal : c’est celui de Phidias. Ce qu’il n’avait point osé tenter au retour d’Argos en exécutant des colosses conformes à la tradition, Phidias l’entreprit dès qu’il fut rendu aux salutaires loisirs de l’atelier. La belle Lemnienne, l’Amazone blessée, la Vénus céleste, la Minerve Cliduchus, le Mercure, toutes les œuvres qu’il exécuta pendant les seize années qui précédèrent la paix de trente ans, furent autant de révélations pour la Grèce émue et pour les artistes de tout âge et de tout pays qui accouraient se former à l’école de Phidias.

Au milieu de ces travaux, dont on ne connaît qu’une partie[1], à la tête d’une école qui grandissait chaque jour et qui comptait déjà des maîtres, Phidias atteignit sa cinquantième année. D’autres se seraient crus au plus haut degré de leur talent et de leur gloire ; Pour lui s’ouvrait seulement la période la plus éclatante de sa carrière : Périclès posait la première pierre du Parthénon.


BEULÉ, de l’Institut.

  1. Il faut citer encore deux statues, les seules peut-être qui soient postérieures au Parthénon, avec le Jupiter d’Olympie. Phidias les fit pour les Éléens pendant qu’il travaillait à son Jupiter. C’était une Minerve en or et en ivoire, qui portait un coq sur son casque, et une Vénus céleste, également en or et en ivoire. Un de ses pieds reposait sur une tortue.