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La statue de Sforza fut découverte en 1493, peu de temps après le mariage de Louis avec Béatrix d’Esté. Elle excita une admiration prodigieuse ; mais Léonard n’en était pas satisfait : il y trouvait toujours quelque chose à corriger, si bien que, lorsque survinrent les événemens de 1499, elle n’était point fondue. Les arbalétriers gascons de Louis XII trouvèrent plaisant de la prendre pour but et la mirent en pièces[1].


III

Il ne nous reste rien de la statue colossale de François Sforza, nous ne possédons qu’un fragment informe du carton d’Anghiari, la Cène du couvent de Sainte-Marie-des-Grâces est en ruines ! La fatalité s’est acharnée à détruire les plus importans ouvrages de Léonard de Vinci. Nous ignorons même à quelle époque il entreprit son chef-d’œuvre. On a avancé, sur des indications qui me paraissent insuffisantes, qu’il n’y travailla que pendant les deux années 1496 et 1497 : il faut supposer avec Bossi qu’il s’occupa de cette composition pendant beaucoup plus de temps. On connaît les habitudes de Léonard ; il dut élaborer lentement une œuvre de cette importance, et tout porte à penser que les premières études qui s’y rapportent datent du commencement de son séjour à Milan. Vers 1496, le modèle de la statue de François Sforza étant achevé, il dut s’occuper avec d’autant plus de suite de la Cène que l’accès de dévotion dont fut pris Louis le More après la fin tragique de sa femme Béatrix mit un terme aux fêtes et aux distractions de toute sorte qui interrompaient sans cesse les travaux de Léonard. Un document cité par Amoretti prouve qu’il travaillait encore à cette peinture pendant l’année 1497, et c’est vraisemblablement vers cette époque qu’il l’acheva.

À voir les admirables cartons que Léonard avait préparés pour les têtes des apôtres et du Christ, les dessins très nombreux que nous possédons encore et qui se rapportent à cette composition, on peut juger, par le soin avec lequel il en étudia les moindres détails, de l’importance qu’il lui attribuait. Il mit à l’exécuter une ardeur et une passion qui ne lui étaient point habituelles. Bandello raconte qu’il lui est souvent arrivé de voir Léonard quitter brusquement sa statue équestre au milieu du jour, par les plus fortes chaleurs de la canicule, pour venir à Sainte-Marie achever un trait ou un contour de la Cène par deux ou trois coups de pinceau, comme s’il avait eu besoin de se soulager ainsi d’une trop forte préoccupation. D’autres

  1. Lanzi, Storia pittorica, t. III, p. 162.