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phrénologie, la philologie, la critique religieuse elle-même, ont abordé tour à tour ce problème si important de nos origines ; étonnerai-je quelqu’un en disant que leurs réponses contradictoires nous laissent encore indécis et sceptiques ? Il faut bien l’avouer, nous ne nous connaissons pas encore nous-mêmes : si nous nous tournons vers le passé, nous pouvons à peine remonter le courant de quelques siècles ; l’homme primitif nous échappe : quelques grossiers débris de silex, des traditions bizarres et confuses, voilà tout ce qui nous en reste. Suivant le caprice de l’imagination, nous pouvons nous figurer l’enfance de nos races sous les couleurs les plus poétiques ou les plus affreuses, l’embellir de tout ce que la spontanéité, la virginité de l’âme ont de plus gracieux, ou l’humilier sous le déplaisant souvenir des sacrifices faits aux instincts les plus bas, et des luttes sans gloire soutenues contre l’inclémence de toutes les forces naturelles. Si au contraire nous regardons vers l’avenir, y a-t-il rien qui nous autorise à espérer que notre espèce puisse jamais se modifier, réaliser un idéal de beauté, d’intelligence et de force plus élevé ? ou devons-nous croire que la brutalité, la laideur et la bassesse soient à jamais le lot de la grande majorité, que les hommes doivent sans cesse tout perfectionner autour d’eux, sauf eux-mêmes ?

Suivant que nous fixons notre croyance à la théorie longtemps victorieuse de l’immutabilité des espèces ou à celle de la transformation progressive et graduée des formes organiques, nous voyons s’ouvrir devant nos yeux des perspectives différentes et tout opposées. Dans le premier cas, le divorce éclatant entre la grandeur de nos désirs, la hardiesse, la hauteur de nos pensées et l’exiguïté de nos moyens, entre ce que Pascal nommait si énergiquement l’ange et la bête, nous apparaît comme une contradiction permanente et nécessaire dont les termes ne peuvent varier ; dans le second, ce n’est plus qu’une des phases transitoires du mouvement qui emporte toute chose créée vers l’éternel beau et l’éternel bien.

On voit quelle importance s’attache à des questions qui constituent, pour ainsi parler, la philosophie de l’histoire naturelle : méconnaître cette importance serait faire preuve d’une véritable petitesse d’esprit. Je sais bien que l’homme, qui s’intitule volontiers le roi de la nature, n’aime guère qu’on lui rappelle par quels liens directs il tient à cette nature qu’il régit. Il est pourtant comme tous les autres animaux soumis à ces lois mystérieuses et fatales qui règlent la propagation de l’espèce, la transmission des ressemblances, des anomalies, des principes morbides, l’extension ou le dépérissement des races. Notre orgueil est chaque jour humilié par les dépendances nombreuses dont nous sentons directement les effets. Et combien d’autres dépendances cachées pèsent sur nous, comme ces chaînes