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n’a guère varié de poids. Le tir en est bon ; la balle est d’une grosseur et d’une forme qui la rendent, à ce que nous croyons, infiniment plus meurtrière que la balle sphérique et que toutes les autres balles allongées, car au moindre obstacle elle doit se déchirer dans les plaies. C’est un résultat regrettable, et que l’on a obtenu sans le chercher. Dans nos idées modernes, on s’attache à se débarrasser d’un ennemi, à le mettre hors de combat plutôt qu’à le détruire ; s’il fallait en donner des preuves, il n’y aurait qu’à citer la dernière guerre d’Italie, où l’on a vu cent fois, au milieu d’un combat qui durait encore, des soldats atteints eux-mêmes se traîner le long des fossés pour étancher la soif des ennemis qui venaient de tomber sous leurs coups.

Après avoir comparé les divers modèles d’armes perfectionnées adoptées en Europe, il n’est pas moins intéressant de se rendre compte de la supériorité qu’ils possèdent réellement sur ceux dont ils viennent de faire abandonner l’usage. Il ne faudrait pas croire que cette grande précision à des distances énormes produise toujours dans un combat les résultats meurtriers qui semblent au premier aperçu devoir en résulter. La vie des hommes, par bonheur, ne tient pas toujours à si peu de chose. La difficulté d’apprécier la distance de l’ennemi pour viser juste, l’émotion du combat, le mouvement que se donne le troupier, la fumée, mille autres circonstances, sont des causes d’erreur qu’une préoccupation bien naturelle ne permet ni d’apercevoir, ni de rectifier : la plupart des coups portent trop haut ou trop bas et sont perdus. Plus l’arme est perfectionnée d’ailleurs, plus elle réclame de soins, et plus il est aisé de l’endommager ; des dégradations difficiles à réparer en campagne la rendent bien vite inférieure à une arme ordinaire. Il y a même mieux, à une très petite distance elle l’est toujours. Pour que la balle ne s’arrache pas et reste en prise dans les rayures, sa vitesse ne doit pas être trop grande, et c’est l’un des motifs de la réduction des charges dans les fusils rayés. À l’origine, les carabines donnent donc aux projectiles une vitesse, et par suite une force de pénétration beaucoup plus faibles que les anciens fusils de munition[1]. La différence est même assez forte pour que la balle lourde des carabines ait à 40 mètres une force de pénétration notablement plus faible que l’ancienne balle sphérique du fusil à canon lisse, qui pesait presque moitié moins. Il faut une certaine distance pour que les armes rayées

  1. Ce fait n’est pas généralement connu, et il peut paraître surprenant que l’on obtienne une portée très supérieure d’une balle à laquelle on a imprimé une vitesse initiale beaucoup moindre ; mais il faut remarquer que la propriété des armes carabinées est précisément de mieux conserver la vitesse des projectiles en diminuant les influences retardatrices de l’air.