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incomplète il n’est de meilleur remède qu’une liberté plus grande. Dans les sociétés humaines comme chez les individus, on ne développe pas impunément certains membres à l’exclusion des autres : la santé, c’est l’harmonie.

Réduire de vive force la canne en la cantonnant étroitement, en l’imposant durement, il n’y a pas à y penser. Toute interdiction se heurte contre les lois, les mœurs et les intérêts. D’après une des lois les plus certaines de l’économie politique, tout pays doit se consacrer au genre de production où il a le plus de supériorité, et mieux lui vaut une branche dominante, ou du moins un petit nombre de branches où il brille, qu’une multitude de rameaux secondaires. Plus simples et plus sûres, les opérations deviennent aussi plus fructueuses. Les risques se couvrent au moyen de l’épargne dans les années prospères, au moyen d’assurances en toute époque. Les lacunes de la production locale se comblent par l’importation, qui s’élève d’elle-même au niveau des exportations. Si l’île n’était propice qu’à une seule culture, lucrative d’ailleurs, on pourrait donc s’y résigner sans trop d’inquiétude ; ce serait sage, surtout quand il s’agit de la canne à sucre, dont le produit, dès que les tarifs douaniers le permettront, acquerra le débouché le plus universel qui se puisse espérer, car tous les hommes, en tous pays, recherchent le sucre. Dès ce jour, même dans des conditions douanières très onéreuses, la canne, qui procure à quelques habitans une fortune princière, est pour les autres une source inépuisable de travail et de salaire ; elle fait au loin le prestige et la richesse de la colonie.

Mais La Réunion, loin d’en être réduite à cette ressource unique, possède dans sa zone moyenne et dans les plaines supérieures de vastes espaces propices, les uns aux cultures arborescentes, les autres aux vivres et au bétail. Que les quatre mille hectares de la plaine des Palmistes se couvrent de végétaux comestibles, tandis que sur les savanes plus étendues encore et admirablement saines de la plaine des Cafres paîtront de nombreux troupeaux de moutons et de bœufs, la disette ne menacera plus La Réunion. Mieux que des encouragemens artificiels, la viabilité procurera ce bienfait. C’est à elle bien plus qu’à la nature des terres que le littoral doit ses progrès. La culture aborderait aussi les hauts de l’île, si les familles pauvres qui tentent de s’y installer n’étaient trop souvent épuisées et découragées par les courses à faire à travers des terrains dont aucune voie n’ouvre l’accès. Sous une autre forme, la liberté rendrait les marchés mieux fournis dans les villes, les bazars moins rares dans les campagnes, et partout la vie serait moins coûteuse, si des règlemens ne gênaient le commerce intérieur. Au dehors encore, la liberté commerciale souffre à raison des taxes qui grèvent les produits des cultures secondaires à leur entrée en France. La suppression ou une