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que la tactique, la chambre de Saint-Denis se range à l’avis des grands ports de France qui voudraient réserver au pavillon français le monopole absolu des transports à l’étranger. Le privilège serait exorbitant et funeste à la colonie, qui dès aujourd’hui se plaint justement que l’insuffisance et la cherté de la navigation nationale contribuent aux souffrances alimentaires de l’île. Des droits différentiels protégeront nos armateurs dans la mesure qui peut être utile. Quelque libéralité ne saurait inspirer d’inquiétudes à qui considère que notre marine supporte à Gorée la rivalité de toutes les autres, et qu’elle prend d’année en année une part plus considérable aux importations de Maurice en concurrence avec la marine anglaise.

En attendant une réforme générale qui sera une révolution bienfaisante dans le système colonial de la France, La Réunion insiste avec énergie sur deux- modifications urgentes : premièrement, la franchise d’entrée de la vanille dans la métropole par navires étrangers et par la voie de Suez, tant qu’il n’y aura point de navigation française sur la Mer-Rouge ; en second lieu, la libre admission du guano aussi par navires étrangers, les seuls qui trouvent du bénéfice à l’importer aux conditions onéreuses imposées par la compagnie anglaise qui représente à Londres le gouvernement du Pérou. Peu rassurés sur la bonne volonté de la compagnie, justement méfians du monopole, quelques propriétaires de La Réunion, parmi les plus intelligens, songent à remplacer le guano par les débris animaux que laisse perdre la pêche de la morue dans nos colonies de Saint-Pierre et Miquelon, et même par des masses de harengs et de capelans qui peuvent se récolter par bancs épais dans les eaux de Terre-Neuve[1].

L’absentéisme résume et complète la série des malheurs économiques de La Réunion. Sur ce point encore, la critique a l’heureuse chance d’avoir été devancée par la franchise du gouverneur actuel. « Les grands propriétaires, a-t-il dit dans une circonstance solennelle, vont en Europe jouir de leur fortune, y dépenser leurs revenus, qui devaient appartenir au sol natal. On oublie ainsi le charme des lieux où l’on a passé ses premières années ; on néglige l’embellissement de sa demeure ; lorsqu’on y revient, ce n’est pas pour lui demander des jouissances, mais pour y puiser de l’or et des produits… On ne peut pas quelquefois y recevoir un ami, à plus forte raison y jouir de l’agrément de la société et de la campagne : l’antique hospitalité créole oublie ses traditions, la société se dissout… Que les habitans les mieux partagés de cette île, qui est elle-même peut-être la plus fortunée du globe, consentent à y vivre d’une vie large qui sera pour eux une source de bonheur plus vrai que cette

  1. Voyez les Pêcheries de Terre-Neuve dans la livraison du 15 août 1859.