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Jérôme. Mazarin se croyait sûr de l’obtenir. Il peignit au jeune prélat sa chère Nodarina comme une Vénus, sans oublier la dot, qui aurait pu convenir au meilleur gentilhomme ; il lui représenta enfin tous les avantages de ce mariage avec l’éloquence de l’amour et cette parole flatteuse et dorée qui rendit plus tard le diplomate si persuasif. Le futur cardinal Colonna était prudent et avisé, il portait un sincère intérêt à son jeune chambellan ; il vit qu’il allait gâter sa carrière par un mariage prématuré, mais qu’il serait inutile d’opposer la raison à la passion : il prit donc un détour, et, au lieu de le désoler par un refus, il lui dit qu’il avait besoin de lui pour une importante affaire qu’il ne pouvait confier qu’à sa fidélité : il fallait qu’il allât porter à Rome une dépêche au connétable ; en même temps il parlerait à son père de son projet de mariage, obtiendrait aisément son aveu, et reviendrait à Madrid épouser la belle Nodarina. Mazarin ne trouva rien à dire à cela, et il s’élança sur la route de Rome, brûlant d’y arriver pour s’en retourner plus vite. Il remit au connétable la dépêche de don Jérôme, puis, courant chez son père, il lui fit un si beau discours sur les charmes de sa maîtresse, sur sa dot, sur les avantages de toute espèce d’une telle alliance, que Pierre Mazarin, bien qu’il le connût fort amateur d’hyperboles[1], ne résista point, et donna son consentement ; mais la joie de notre amoureux ne fut pas de longue durée. Le connétable, à qui son « fils avait tout dit, fit venir le jeune homme, et, après avoir un instant badiné sur le bonheur qui l’attendait, il prit soudain un visage sévère, et, le regardant de travers, lui commanda de ne plus songer à un aussi sot mariage, de rester à Rome, et de se remettre sérieusement à l’étude, s’il ne voulait éprouver les effets de son indignation[2]. On conçoit le désespoir du pauvre amant. Il ne savait quel parti prendre ; il passait de la colère à l’abattement, enfantait mille projets et y renonçait ; enfin il lui fallut bien se résigner, et, pour se distraire des chagrins de l’amour, il se jeta dans le travail avec une sorte de furie. Il reprit les études de droit canon et de droit civil qu’il avait commencées avec succès à l’université d’Alcala,

  1. Mémoire anonyme : « Quantunque lo conoscesse amatore d’iperboli. »
  2. Benedetti, qui supprime tout ce qui pourrait porter atteinte à la dignité de Mazarin, même dans sa première jeunesse, et qui ne parle pas plus de ses aventures d’amour que de ses aventures au jeu, donne un autre motif à son retour d’Espagne. Ce motif aurait été la nouvelle inattendue que Pierre Mazarin, accusé à Rome d’un assassinat, avait rappelé son fils pour le défendre. Rien de moins vraisemblable. Une telle accusation ne s’accorde guère avec les mœurs que Benedetti lui-même donne à Pierre Mazarin, et les défenseurs capables de le tirer d’embarras en une telle affaire étaient ses deux beaux-frères, l’abbé et le commandeur Bufalini, surtout les Colonna, et non pas un jeune homme obscur qui avait à peine vingt ans. Il faut dire pourtant que Benedetti est suivi en cela par Priorato.