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mains du Nana étaient prisonnières dans une petite chartreuse divisée en deux pièces et située au milieu d’un jardin, ou, pour mieux dire, d’un compound, d’un enclos planté. Cette maison, entourée de pilastres qui soutiennent une verandah, et percée de trois grandes portes sur chaque façade, est marquée sur les plans de Cawnpore[1] à peu près au milieu de l’espace compris entre la portion centrale de la ville et le pont de bateaux jeté sur le Gange. Le terrain où elle est bâtie forme l’angle de deux routes. Dans le choix de cette prison, rien n’annonce une préméditation sanguinaire. Le bungalow dont elle dépend était jadis celui d’un officier anglais. Le petit bâtiment accessoire dont nous parlons paraît avoir été ce qu’on appelle une bee-bee-house, c’est-à-dire, en termes décens, une « petite maison, » la résidence d’une de ces pauvres filles indiennes qui, sans que la pruderie anglaise s’en effarouche, — elle feint de n’y pas prendre garde, — charment les loisirs du célibat militaire. Les prisonnières y étaient l’objet de peu de soins : on ne leur distribuait qu’une nourriture assez grossière, on ne paraissait point s’inquiéter de ce qui pouvait contrarier leurs habitudes de comfort ou d’élégance ; mais rien n’établit qu’elles aient été l’objet d’aucun mauvais traitement, d’aucun outrage, pendant les vingt journées qu’elles passèrent en captivité. Parti le 7 juillet d’Allahabad, Havelock brisait cependant, un à un, tous les obstacles jetés sur sa route. Le 15, il arrivait à Pandoo-Nuddee, où l’attendaient les meilleures troupes que Nana-Sahib pût mener à sa rencontre. La victoire resta aux Anglais. Les révoltés rentrèrent à Cawnpore, — qu’ils n’allaient pas oser défendre et qu’il fallait évacuer sans trop de retard, — dans une rage facile à concevoir. On dit qu’ils demandèrent à grands cris à leur chef, comme une vengeance, le droit d’immoler les prisonnières, et que Nana-Sahib, loin de s’y opposer, les encouragea, leur donna des ordres précis ; on le dit, mais où est la preuve ? Quel témoignage a-t-on jamais fourni à l’appui de cette version si peu vraisemblable d’un fait si facile à expliquer différemment ? Le plan de Cawnpore, bien étudié, met en effet les choses sous un autre jour. On y voit que les insurgés, chassés par Havelock de la route d’Allahabad, et se retirant vers celle de Bithoor, c’est-à-dire poussés de l’est à l’ouest et de la pleine campagne vers les bords du Gange, ont nécessairement dû se jeter — sinon tous, du moins le plus grand nombre — sur deux routes latérales qui, derrière le « retranchement » vont, du great Trunk Road, rejoindre un chemin longeant précisément les murailles du compound au milieu duquel s’élève la Maison-du-Massacre. Dans les circonstances que

  1. Voyez celui du colonel Bourchier. (Eight Months Campaign, etc.)